Christophe Ourdouillie : l’homme qui rendait la vie plus belle

Sophie Mayeux

Christophe est une personne authentiquement généreuse. Je l’accueille au studio pour son interview. Il est souriant et tellement content d’être là pour parler de son travail et transmettre sa passion. Christophe est un entrepreneur ainsi qu’un artiste engagé. L’histoire de Christophe est celle d’un homme qui a décidé de donner du sens à sa vie en prenant les pinceaux : il peint pour rendre le quotidien plus beau. 

Tu seras le meilleur, mon fils ! 

Christophe aime à dire qu’enfant, il ne savait pas dessiner. Son père veut qu’il soit avocat. Lui préfèrerait être archéologue ou journaliste. Christophe prend finalement le chemin d’un IUP en information et communication, puis continue une maîtrise dans le même domaine à Roubaix. Son père accepte finalement qu’il fasse carrière dans le journalisme, « Mais tu seras le meilleur ! ».

Christophe fait un stage dans une agence de presse lilloise. Il est très déçu. Idéaliste, il s’imaginait  écrire pour changer le monde, alors qu’on lui demande de rédiger pour vendre du papier. Il démarre ensuite sa vie professionnelle dans la communication. Au fur et à mesure des mois, Christophe prend peur. Il n’est pas prêt à accepter cette vie laborieuse et bien réglée, il a le sentiment qu’il n’est pas à sa place. Il démissionne, se remet en question, réfléchit à ce qui l’anime vraiment. Pendant cette période de chômage, Christophe recommence à faire des petits travaux de peinture. Enfant, il gagnait régulièrement de l’argent de poche en repeignant des pièces de la maison familiale. Pôle Emploi lui donne l’opportunité de faire une formation en peinture décorative. Il la suit avec enthousiasme. Il revit. « Notre professeure était extraordinaire, se souvient-il. Elle nous a enseigné l’art du trompe-l’œil et des imitations de matière. Elle était diplômée d’une école de décoration et m’a transmis sa passion. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie de faire une école pour me former à la peinture décorative. Je ne voulais pas me tromper de voie, car j’avais déjà emprunté une première fois les mauvais rails. J’ai donc choisi une des meilleurs écoles, l’école Van der Kelen à Bruxelles. » 

Christophe fait un choix courageux et plein de défi, certainement toujours animé par l’injonction paternelle d’être le meilleur. Cette école est la plus ancienne au monde à enseigner depuis la fin du XIXème siècle les techniques de la peinture décorative et de la restauration de décors. La méthode d’enseignement réside dans un entraînement intensif qui allie technique et pratique. « Il fallait savoir dessiner pour intégrer cette école. J’ai appris tout seul dans ma chambre. J’ai candidaté et j’ai été pris ! Les autres élèves venaient là pour avoir une spécialisation en Beaux-Arts appliqués. Quand j’ai vu leurs dessins, je me suis dit que je n’y arriverais jamais, que j’avais économisé 10 000 euros pour rien. Je me suis alors mis en position d’apprenant, demandant à tout le monde – Comment tu fais ça ? J’étais tellement passionné. J’ai travaillé comme un fou : pendant les 6 mois de la formation, j’avais 56 heures de cours par semaine, je dessinais jusqu’à tard dans la nuit. Pendant les cours, nous n’avions ni le droit de parler, ni celui de nous assoir. Et j’ai eu la médaille d’argent de la promotion. » Christophe était arrivé parmi les meilleurs.

Voyage initiatique en Asie du Sud-Est

Christophe est alors engagé dans un célèbre atelier parisien spécialisé en trompe-l’œil et restauration de monuments, l’Atelier Mériguet-Carrère. Il travaille d’arrache-pied sur des chantiers incroyables en France, aux Etats-Unis, crée une imitation de marbre dans tout un palais en Arabie Saoudite. Le rythme est très dur : plus de 10 heures de travail quotidien, 7 jours sur 7, pressé par les délais, Christophe est une machine à peindre. La fatigue et les jalousies entre collègues ont raison de sa gentillesse. Christophe décide de s’installer à son compte. Armé de son audace, il frappe à toutes les portes qui se présentent, dans toute la France, et les premiers contrats arrivent. 

En 2009, Christophe décide de parcourir en vélo avec sa compagne, Anne, les chemins de traverses de l’Asie du Sud-Est. « Je ne voulais pas faire simplement un voyage pour nous faire plaisir, je voulais que ce voyage ait un sens. J’ai contacté des ONG pour réaliser des travaux bénévoles de décoration murale, ainsi que Robert Bougrain-Dubourg, fondateur de Restaurateurs sans Frontières, organisation pionnière dans la restauration de peintures en Thaïlande en développant les savoir-faire locaux. J’avais vu un reportage sur son action dans l’émission Des Racines et des Ailes. Je l’ai littéralement harcelé pour avoir un rendez-vous, et je l’ai obtenu ! ».

Cette rencontre à Bangkok est déterminante pour Christophe. Robert Bougrain-Dubourg est un personnage haut en couleurs, libre penseur. Lui aussi s’est d’abord trompé de voie, lui aussi a fait une rencontre déterminante en étant formé en Belgique par un prestigieux restaurateur belge de peinture qui lui a transmis son amour du métier. Il raconte à Christophe l’opposition entre les visions esthétiques occidentale et asiatique ; comment en France les oeuvres sont restaurées comme si elles avaient traversé le temps, comment en Asie, les oeuvres sont au contraire restaurées de manière flamboyante, comme si elles étaient fraîchement peintes, cette vision étant empreinte de la pensée bouddhiste : tout ce qui meurt est amené à revivre. Les Occidentaux ont un désir d’immortalité, alors que les Asiatiques ont conscience du caractère éphémère de la vie, ainsi restaurer une oeuvre est pour eux une chance de la faire vivre de nouveau. Christophe est conquis et propose à Robert Bougrain-Dubourg ses services bénévolement, dès qu’il reviendra de son périple à vélo.

Christophe et Anne avaient organisé tout au long de leur boucle voyageuse trois arrêts dans des ONG pour réaliser de fresques participatives. « A la frontière de la Birmanie, je me suis arrêté dans une école de réfugiés birmans, en Thaïlande j’ai peint dans une école karen, ethnie nomade dont l’école est dans les montagnes, et au Laos, j’ai réalisé une fresque murale dans la salle commune du bâtiment abritant des femmes en situation précaire qui apprennent un métier. Je me souviens de la joie des enfants, des jeunes et des femmes devant le résultat final. Réaliser une fresque, ce n’est pas seulement décorer. C’est introduire un décor qui apportera de la beauté chez les gens et ainsi améliorera leur quotidien. Je suis heureux de savoir qu’ils verront cela chaque jour. »

De retour à Bangkok, Christophe rejoint Restaurateurs sans Frontières. Il y avait un besoin de compétences en trompe-l’œil pour le chantier du palais d’été du roi Rama V. Christophe travaille avec des équipes locales, vit à la thaïlandaise avec les ouvriers, apprend un nouveau savoir-faire. Il est engagé comme chef d’équipe un an plus tard en 2010 sur un nouveau chantier au Cambodge pour restaurer les peintures murales de la pagode du Bakong à Angkor Vat. Le projet est passionnant, dure un an et demi et Christophe se dit qu’un jour, lui aussi créera le même genre d’association humaniste, mais dans le domaine décoratif et artistique. 

Colorful, l’association qui redonne des couleurs à la vie

Christophe était devenu un vrai thaïlandais, il était harmonieux, il était bien. Ce voyage aura duré un peu plus de deux années. De retour en France, il s’associe avec son frère en 2012 pour créer un atelier à la fondation Septentrion à Marcq-en-Baroeul et développe son activité de peinture décorative auprès des particuliers, architectes, entreprises et des monuments historiques. Il s’exprime aussi à travers un travail artistique personnel. « Je me suis beaucoup inspiré des primitifs flamands : ambiance, sujets, couleurs, tonalités. Je peins en épaisseur. Mon art est devenu plus brut au fur et à mesure du temps. J’aime faire ressortir la matière vivante d’un portrait. Je recherche les imperfections, les instants de vie, les moments suspendus, les émotions, puis au-delà, de trouver ce qui reste d’essentiel derrière le temps qui passe. »

En 2018, Christophe tient sa promesse : il crée son association Colorful. Son but est de réaliser des fresques participatives en milieu sensible, d’apporter de la couleur pour améliorer un contexte, un environnement, pour qu’au final les personnes aillent mieux. Le public bénéficiaire de la fresque est impliqué tant dans la conception que dans la réalisation du projet, pour créer de l’appropriation, de la collaboration, de la cohésion, les aspirant ainsi dans une spirale positive. Pour chaque projet, Christophe s’occupe de trouver l’artiste qui fera vibrer le projet, de collecter les fonds (il reverse de son côté 10% de ses ventes artistiques à son association et est fier de rémunérer chaque artiste pour leur travail au sein de Colorful), de gérer le projet dans sa totalité et sa complexité. A ce jour, Colorful est en train de rechercher les fonds pour financer la réalisation d’une fresque dans un foyer d’aide sociale, le Foyer Starter d’Hellemmes : les adolescents repeignent leur hall d’entrée avec un artiste graffeur. En janvier 2019, l’association repart en Tahïlande dans la communauté Karen pour réaliser deux décors muraux l’un dans la salle d’étude, l’autre dans la salle de tissage, en collaboration avec l’illustratrice pour enfants Izou. 

Dans quelles lettres de CRAZY! Se retrouve Christophe Ourdouillie ?

« Dans toutes les lettres, sauf dans le Z de Zélé, je crois. Car je me mets maintenant la barre moins haute pour faire plus de choses, me répond Christophe dans un large sourire. Je suis reconnaissant de toutes les rencontres que j’ai faites, car ce sont elles qui font de moi qui je suis aujourd’hui. J’ai rencontré des personnes pleines d’humanité, qui ont osé se mettre à nu et qui savent d’où elles viennent. Elles m’ont fait voir le monde différemment et me remettre en question. Je m’applique tout cela dans chacun de mes travaux. »

Sincérité, travail, abnégation, humilité sont aussi des mots qui caractérisent Christophe. Je le quitte avec des couleurs et des paysages d’une Asie que je ne connais pas plein la tête. Je suis allée dans son atelier et j’ai pris toute la mesure du sens de la mission qu’il s’est donnée. Au milieu de ses tableaux aux lumières flamandes et de ses trompe-l’œil qui ouvrent une porte vers un paysage du Sud ensoleillé et merveilleux, la vie est vraiment plus belle. 

 

Plus d’info : 

Pour vivre avec Christophe l’expérience de Restaurateurs sans Frontières en 2010/2011, regardez des extraits de l’émission Echappées belles au Cambodge https://www.youtube.com/watch?v=pzjWtClB4xw

=> Aller voir à 1h18 35 secondes et à la fin 1h27

 

Atelier Christophe Ourdouillie – Fondation Septentrion – 20 bis Chemin des Coulons – 59700 Marcq-en-Baroeul

www.faux-marbre.fr

 

4 commentaires sur “Christophe Ourdouillie : l’homme qui rendait la vie plus belle

  1. Quel parcours de Fou ! C’est une sacrée stimulation de voir ce que Christophe a réalisé , je suis scotchée !
    Et tout cela , dans une simplicité et une humilité incroyable …
    Merci Christophe de ce beau partage !
    Cela me réjouit le coeur, et me donne une nouvelle énergie pour ma propre créativité ,

    Anine

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