
« Je m’appelle Elodie Rigaud, j’ai vingt-trois ans et je suis bouchère. Non ce n’est pas un gros mot. » C’est ainsi qu’Elodie nous accueille dans son petit bureau derrière le grand comptoir qu’il suffit de regarder pour saliver. Elle est très fière lorsqu’elle nous dit cela. Nous étions un peu en avance à notre rendez-vous, tôt le matin, car Elodie et toute l’équipe doivent installer la boucherie-charcuterie avant d’ouvrir dès 7h30. Je suis venue avec mon anorak et mon bonnet, au cas où nous pourrions visiter la chambre froide ; j’en frissonne d’avance car je suis encore un peu endormie. Mais cette phrase de présentation lancée avec un grand sourire plein d’assurance finit de me réveiller. Au mur, il y a beaucoup de photos, Elodie avec ses parents, ses soeurs (elles sont quatre filles), Elodie recevant divers prix, Elodie avec des personnalités… Elle nous raconte son parcours, comment une toute jeune fille décide de devenir bouchère, d’exercer son métier avec passion et optimisme et de faire changer l’image des métiers de l’artisanat.
Une passion et une énergie ancrées au plus profond d’elle-même
« On valorise toujours les métiers intellectuels, moi j’aime découper de la viande pour bien nourrir les gens. Peu importe le métier qu’on choisit pourvu qu’on l’exerce avec passion. » Elodie a passé un bac S option sciences de l’ingénieur. En terminale, lorsqu’elle a dit qu’elle voulait devenir bouchère, on lui a proposé de faire un BTS hygiène. Elodie a résisté. « Non, ce n’est pas ça ce que je veux faire. Je veux découper la viande, ouvrir ma boucherie, servir mes clients. Il n’y a pas que les Bac+5 qui comptent. D’autant plus qu’ils ne trouvent pas forcément de travail. Sans boucher, sans boulanger, comment voulez-vous manger ? » Elodie est passionnée par son métier qu’elle considère comme un art. Il faut avouer que son père est boucher, que bébé dans son landau elle fréquentait déjà la boucherie familiale, qu’à 15 ans elle tenait la caisse pendant les vacances et que c’est avec son père qu’elle a appris à aimer la viande et à découper une carcasse. Elodie a continué de développer cette passion dévorante.
Rigaud & filles est le nom de la boucherie : une première étape dans le changement des mentalités
Après son bac, Elodie a démarré son CAP boucherie, grimpant les échelons un à un, avec énergie. Elle a été qualifiée au concours régional et national du meilleur apprenti boucher de France. Elles étaient deux filles, l’une du Nord et l’autre du Sud. Puis elle a été qualifiée aux Olympiades des métiers, concours qui regroupe tous les métiers, représentant pour la première fois les bouchers. Cette fois-ci, elle était la seule fille à concourir pour tous les métiers… Enfin, elle a reçu l’année dernière son Titre Entrepreneuriat pour la Petite Entreprise avec son projet « La boucherie au féminin » .
« Je veux changer l’image de la boucherie. Il faut que l’Education Nationale y contribue aussi. Le boucher, ce n’est plus quelqu’un avec un gros ventre et du sang sur son tablier. » C’est vrai que les clichés ont la vie dure. Imaginer une femme bouchère n’est pas encore tout à fait spontané. Elodie veut féminiser son métier et changer l’image de l’artisanat en général.
Des actions ont déjà été menées en ce sens par la boucherie Rigaud. Le nom, tout d’abord. Elodie est bouchère, sa soeur est charcutière, leur père est toujours en activité, il était bien normal d’appeler l’entreprise Rigaud & filles, non ? Le magasin totalement relooké donne de lui-même une autre image du métier : le noir chic et sobre est la couleur dominante, des produits d’épicerie fine sont disposés sur des étagères pour concrétiser les idées de recettes qui pourraient naître en faisant les courses. Elodie accueille les clients par leur prénom, découpe leur viande avec soin afin que leur repas soit le meilleur possible.
Elodie est la bouchère et non la femme du boucher. Par sa volonté, son énergie, son opiniâtreté, son engagement quotidien, elle agit sur son écosystème et montre que c’est possible de changer les choses.
Faire confiance aux femmes et être optimiste
Comment agir pour changer le monde ? Vaste question quand on n’a que 23 ans. Elodie répond pourtant très déterminée. « Je pense qu’on pourrait changer le monde si on faisait plus confiance aux femmes. Un homme égale une femme, ensemble sur le même pied d’égalité. Et il faut toujours voir le côté positif des choses. Si on est souriant, ça se ressent. Tous les matins, je viens au travail avec le sourire, je suis contente d’être là. J’essaie de transmettre cet optimisme à toute l’équipe. Et puis surtout, il ne faut pas rester seul. C’est en échangeant les idées qu’on avance. »
Dans quelle lettre de CRAZY ! se retrouve Elodie Rigaud ?
« Je suis le C de Curieux parce que je veux toujours tout savoir. Mais je suis vraiment le Y ! parce qu’il faut montrer qu’on a envie de croire en ce qu’on fait et que c’est possible ! »
Sophie Mayeux