MARIE-ODILE et LOUIS BREYNAERT : la joie de partager des moments précieux

Par Sophie Mayeux

La librairie Autour des Mots sur la place de la gare à Roubaix est comme une bulle étrange mais qui semble avoir toujours été posée là. On la cajole, car il ne faut surtout pas qu’elle éclate, elle est si précieuse. Au fil des années, grâce à l’humour et à la bienveillance de Marie-Odile et Louis Breynaert, la librairie est devenue un lieu authentique de liberté et de joie au sein de ce quartier.

J’étais intriguée par ce couple de libraires que j’ai un peu côtoyés au hasard d’un autre projet. Je les ai alors connus discrets mais toujours disponibles pour un projet au sein de leur ville. Et puis je me suis abonnée à leur page Facebook. J’ai trouvé le ton humoristique, les événements organisés atypiques. Quand je reviens de la piscine (celle où on nage), je passe devant, je n’oublie jamais de regarder la vitrine qui réserve toujours quelques surprises ou de belles choses à voir. En me mettant sur la pointe des pieds, je peux apercevoir Louis qui range ou feuillette un livre. Tous ces signes convergeaient pour m’alerter : ces libraires avaient l’air un peu CRAZY et j’étais sûre qu’ils avaient des choses à me raconter. Alors je suis rentrée. Passer le pas d’Autour des Mots, c’est un peu comme rentrer à la maison. On est rassurés. Marie-Odile et Louis vous accueillent, le canapé n’attend que vous, « vos livres » vous murmurent leurs mots, ils sentent bon, on n’a plus qu’à enlever son manteau. C’est ce que je fais. Je m’installe sur un coin de comptoir parmi les papiers cadeau, les rouleaux de ficelle pendent en guirlandes multicolores du plafond. Quelques clients ou des amis sont restés, attentifs, ils sentent qu’il va se passer quelque chose. Marie-Odile et Louis me racontent leur histoire.

« Ouvrir une librairie à Roubaix, dans un quartier à l’écart, en pleine crise, était un pari complètement dingue »

C’est Marie-Odile qui prend la première la parole. Elle a l’œil mutin et la bouche rieuse, sa petite frange semble danser devant ses yeux. « Louis et moi nous connaissons depuis notre jeunesse. Originaires de Béthune, chacun d’une famille nombreuse, nous sommes notre premier amour d’adolescents. Nous nous sommes côtoyés depuis le début : nous avions toujours un frère ou une sœur quelque part dans la même classe. Et puis la vie nous a fait prendre des chemins différents. Nous nous sommes mariés chacun de notre côté, Louis est parti à Paris, je suis restée en province. Nous avons eu des enfants. Et un jour… Un jour, Louis qui était revenu sur Béthune annoncer à sa mère que sa femme le quittait, manque de m’écraser ! » Pour Marie-Odile, c’est le signal. Elle ressentait déjà à cette période les picotements de la nécessité de changer de vie. Mariée depuis 22 ans, mère au foyer, il lui manquait un événement déclencheur qui s’est présenté d’une manière qui aurait pu être tragique, mais qui a été décisif.

« Nous avons fait les choses doucement avec Louis. Nous avons mis 6 ans avant de prendre la décision de vivre en couple. Nous voulions terminer d’élever nos enfants. Maintenant que nous étions vraiment ensemble, il nous fallait un projet de vie commun. Nous étions trop vieux pour avoir de nouveau des enfants, et puis nous en avions déjà 5 à nous deux ! Il nous fallait un lieu pour servir notre passion commune des livres, la mienne pour l’art et la décoration. Ouvrir une librairie s’est vite imposé comme une évidence. S’installer à Paris était inenvisageable en raison des coûts trop élevés, alors nous sommes revenus dans le Nord. Lille étant aussi trop cher, nous avons cherché sur Tourcoing, et puis on nous a présenté ce lieu où nous sommes aujourd’hui. C’était une ancienne boutique de vêtements. Quand nous sommes entrés, nous avons tout de suite su que c’était là que nous installerions la librairie. »

C’est vrai qu’objectivement, ouvrir une librairie à Roubaix, dans un quartier un peu à l’écart, en pleine crise, était un pari complètement dingue. C’était en 2009. Mais il en fallait beaucoup plus pour décourager Marie-Odile et Louis. On les a franchement pris pour des fous. On a aussi vraiment essayé de les dissuader de monter ce projet. On leur a mis des bâtons dans les roues. Mais c’était mal les connaître : plus on leur disait de ne pas faire, plus ils mettaient de l’énergie à faire. Plus ils avaient envie de réussir. C’est qu’ils aiment bien bousculer les habitudes. Ils avouent qu’au début c’était dur : il pouvait s’écouler des jours entiers sans que personne ne rentre dans la boutique. Il n’y avait pas d’autres commerces alentours, le quartier n’était pas mis en valeur. Mais Marie-Odile et Louis ont allumé l’étincelle : ils se disaient que si personne ne mettait à cet endroit-là quelque chose de beau, il n’y aurait jamais rien de beau. Aujourd’hui, le quartier de la gare s’embellit, un peu grâce à eux.

Il y a des gens qui ne se voient qu’à la librairie, ce sont les copains de librairie

Louis s’occupe des clients qui vont et viennent dans la librairie pendant l’interview. Il revient vers nous pour m’expliquer comment ils ont construit livre après livre leur lieu. « A Paris, j’étais libraire spécialisé dans le code pénal. Ici, à présent, je suis libre. Au début, nous nous sommes rendus compte que beaucoup de mamans venaient, alors, nous avons commencé par étoffer l’offre pour enfants. Ensuite, nous avons observé les goûts des clients, et au fur et à mesure de nos rencontres, nous nous sommes mis à choisir des livres pour eux. Nous refusons toujours les ouvrages imposés par les maisons d’édition. Nous choisissons chaque livre un par un. Quand nous choisissons un livre, nous savons déjà à qui nous allons le proposer. Et le plus souvent, nous ne nous trompons pas. Nous sommes heureux de dire à cette personne que nous avons trouvé quelque chose pour elle, et cette dernière est heureuse de savoir que nous avons pensé à elle. » C’est vrai, quel bonheur de savoir que quelqu’un nous connaît assez bien pour lui faire toute confiance dans le choix personnel et intime d’un livre.

La librairie est devenue au fil du temps un commerce de proximité incontournable dans le quartier. Marie-Odile et Louis avaient depuis le début la volonté que le lieu puisse gratuitement accueillir des artistes. Chaque mois, une nouvelle exposition vient modifier l’atmosphère de la librairie. Au début, ils ne connaissaient aucun artiste, aujourd’hui il y a une liste d’attente, et surtout ils peuvent choisir les artistes qu’ils aiment. Lors des vernissages, il y a foule, on se presse, les gens se croisent, les réseaux se mêlent. « Nous sommes heureux de ce que nous avons réussi à faire avec les expositions et les événements que nous organisons. Les visiteurs entrent sans complexe, plus facilement que dans une galerie. Il y a des gens qui ne se voient qu’à la librairie lors de ces rencontres, ils s’appellent eux-mêmes les copains de librairie. Certains voulaient créer l’association des amis de la librairie Autour des Mots », s’amuse Marie-Odile.

Un lieu de liberté et d’audace, à l’image de Marie-Odile et Louis

Ce qui intéresse Marie-Odile et Louis, c’est titiller, provoquer, mais surtout s’amuser, aborder le métier de libraire de manière décomplexée et « sans se prendre la tête ». Ils ont déjà gagné quand les gens entrent. Marie-Odile attache une attention toute particulière à ses vitrines. « J’aime m’amuser avec les objets dans les vitrines. Un jour d’été où il ne faisait vraiment pas beau, j’ai pris tous les livres avec du jaune sur la couverture et je les ai installés dans la vitrine. J’ai fait un post sur Facebook : ne cherchez plus le soleil, il est là ! disais-je avec une photo. Une autre fois, pour le Tour de France, j’ai reconstitué toute une caravane avec des petites voitures. Pour les dernières élections présidentielles, nous avions décoré tout le magasin avec des affiches des élections de la Cinquième République. Les gens rentraient et partageaient leurs souvenirs, comme « tiens, pour cette élection, c’était la première fois que je votais ». »

Ils ont eu l’audace d’inviter Cabu pour une soirée dédicace. « Nous ne nous sommes pas posé la question. Nous l’avons contacté. De toute façon, qu’avions-nous à perdre ? Il a accepté tout de suite ! Après les attentats de Charlie, les gens sont spontanément venus pour parler, pour pleurer, pour être ensemble. Nous étions le réceptacle de leurs émotions. Nous avons pris conscience que nous étions plus qu’une librairie, nous étions devenus un lieu où l’on parle librement de sa santé, de ses opinions, de sa famille et de ses proches, un lieu où l’on peut être soi. »

Pour ces amoureux des livres, le plus important est le partage : des histoires racontées dans les livres, mais aussi des moments passés ensemble dans ce petit village gaulois où résiste le lien social, où ce dernier prouve qu’il existe et qu’il fait du bien.

Je ne peux pas partir sans livre. Louis me recommande un pavé au titre qui m’emballe immédiatement, « La femme qui avait perdu son âme ». Je quitte à regret ce petit monde paisible de tolérance et de rires où les livres ne sont qu’un joyeux prétexte au partage et à la rencontre.

Dans quelle lettre de CRAZY ! se retrouvent Marie-Odile et Louis ?

« Nous sommes le A d’Audacieux. On a eu de l’audace pour monter notre librairie et on en aura encore ! Et nous sommes la preuve que Yes it’s possible ! de monter une librairie en plein Roubaix en pleine crise. » Louis n’a pas dit son dernier mot : il tient à rajouter qu’il est particulièrement le C de Curieux.

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