FABIENNE CHARVOLIN et NIELS VILLEMAIN : transmettre les clés pour être responsable de sa vie

La Cordée

par Sophie Mayeux

J’arrive en ce matin d’automne d’interview à la grille de l’école La Cordée située à Roubaix. J’ai pris le métro jusqu’à la station Roubaix Charles de Gaulle et descendu à pied la rue des Arts en plein quartier de l’Epeule. Il fait frais. Je sonne et vois un jeune homme tout sourire venir à ma rencontre. «Bonjour, je suis Niels Villemain, le directeur, se présente-t-il en ouvrant la porte. Je vous propose un tour de l’école en attendant Fabienne qui ne va pas tarder. » La cour de récréation est calme à 9 heures. Les enfants sont déjà en classe. J’ai hâte de rencontrer ces deux poils à gratter qui ont osé s’attaquer à l’Institution Ecole. Ils ne sont tout simplement pas d’accord avec le constat que l’Ecole exclut certains enfants qui ne devraient pas l’être. Ils ont décidé de se retrousser les manches et de prouver qu’avec bon sens, bienveillance, exigence et excellence, il est possible de donner à chaque enfant la conscience qu’il a le choix de sa vie. Car Fabienne et Niels sont convaincus que la clé du vivre ensemble réside dans la possibilité de choisir et non de subir sa vie. Encore faut-il transmettre les bonnes clés, notamment celles de la connaissance et de la maîtrise de son environnement culturel.

Je pénètre dans l’école La Cordée qui accueille 53 enfants de 6 à 12 ans. C’est une école pas comme les autres, une école communément appelée « hors-contrat ». Son objectif est de favoriser l’intégration culturelle des enfants du quartier en développant la confiance en soi et en leur faisant prendre conscience de leurs talents.

La visite démarre par la cantine. « La cantine est un endroit où l’on responsabilise les enfants : chacun a une tâche. Débarrasser, ranger, nettoyer. » Il y a des cartes de France aux murs, comme pour apprendre en mangeant, la géographie du pays, son découpage administratif. J’imagine tout à fait la ruche que ce lieu peut devenir à l’heure du midi, des enfants d’âge différents répartis sur les tables, se racontant leurs aventures de la veille ou de la matinée, et le petit chahut de voix qui doit s’ensuivre. Je dis « petit », car ici, personne ne se laisse déborder par le bazar. Les limites sont inlassablement fixées. Nous nous dirigeons vers la salle des professeurs où un café tout chaud nous attend. Ce bâtiment est l’ancienne école Victor Hugo, elle a été mise à disposition de l’association La Cordée pour y ouvrir son projet. Elle y accueille aujourd’hui cinq classes, avec des niveaux allant de la grande section à sixième. La classe de cinquième ouvrira à la rentrée 2017, l’école grandit avec ses élèves. Fabienne Charvolin arrive. Les deux personnes clés de l’école La Cordée sont là, devant moi : Niels, brun aux yeux pétillants et au sourire éclatant, il a l’air si jeune ; et Fabienne, grande femme à l’allure chic et sportive, enthousiaste et intarissable lorsqu’il s’agit de parler de son engagement.

Fabienne, pouvez-vous en quelques mots me résumer votre parcours ?

Fabienne : J’ai 50 ans et quatre enfants. J’ai fait un DEA de Finance Internationale. Plus jeune, je voulais être anthropologue, mais comme vous le voyez, je ne suis pas devenue le nouveau Levi-Strauss… J’ai travaillé dans des établissements financiers. Le dernier était UBS. En 2008, j’ai créé un Family Office avec trois autres associés, c’est une sorte de super Secrétariat Général qui accompagne les chefs d’entreprises familiales dans leur réflexion sur la transmission de leur patrimoine.

Quel a été l’événement déclencheur de votre engagement dans l’aventure de La Cordée ?

Fabienne : Je me souviens parfaitement de ce lundi matin de 2013 où mes associés et moi sommes arrivés en disant chacun : « J’ai quelque chose à vous dire ». Nous avions tous la volonté de changer de voie. Deux sont devenus chefs d’entreprise, l’un a rejoint comme bras droit un grand chef d’entreprise de la région et moi je voulais changer de vie. J’en avais assez de travailler dans le domaine de la finance.

J’ai suivi un séminaire afin de réfléchir à mon avenir professionnel. Je me posais beaucoup de questions sur l’Institution ECOLE. Même si mes enfants évoluent dans un milieu favorisé, je n’avais pas le sentiment qu’ils retiraient le maximum de ces années passées sur le banc de l’école, et je me posais beaucoup de questions sur la pertinence des programmes et l’efficacité des pédagogies. Pendant ce séminaire, j’ai dû dessiner mon projet, et ça ressemblait vraiment à une école ! Alors, je me suis demandé quel type d’école je voulais, pour quels enfants, avec quels types de méthodes… J’ai étudié de nombreuses pédagogies, de celle des Jésuites à Montessori, visité plusieurs écoles en France et en Belgique, regardé avec intérêt ce qu’il se passait à l’étranger. Tout cela s’est déroulé entre 2013 et 2014.

Qui vous a inspiré ?

Fabienne : J’ai rencontré Albéric de Serrant qui a créé l’école Alexandre Dumas à Montfermeil en Seine-Saint Denis. Il m’a accueillie pendant une journée entière. Cette école est un havre de paix dans un environnement violent et défavorisé. Après cette visite, je n’ai plus hésité, c’était exactement ce que je voulais faire : créer dans le Nord la même école.

Quel a été votre chemin pour en arriver là où vous en êtes aujourd’hui?

Fabienne : Avec Thibault et Lorraine Vieljeux, co-porteurs du projet, nous avons créé l’association La Cordée en septembre 2014. Nous nous sommes rattachés à la Fondation Espérance Banlieues. Le rapprochement avec la mairie de Roubaix a été rapide. Nous avons trouvé le lieu en avril 2015, les travaux ont démarré en juillet 2015 et l’école a ouvert ses portes en septembre 2015.

Nous avions besoin d’un directeur, c’est le coeur d’une école. J’avais rencontré Niels à Montfermeil lors de notre visite, et c’est assez naturellement qu’il s’est proposé pour participer à notre aventure.

Je me tourne vers Niels qui est resté silencieux et attentif jusqu’à présent, ponctuant les phrases de Fabienne de son grand sourire. Cela ne doit pas être simple pour lui de rester ainsi sans rien dire. Je sens sa vivacité, son énergie, sa détermination, son engagement bouillir en lui. Sa jeunesse n’est qu’un leurre, car c’est une personne d’une grande expérience.

Niels, comment devient-on directeur de l’école La Cordée ?

Niels : J’ai eu un frère déscolarisé alors qu’il était très intelligent. J’ai détesté l’école moi aussi. Je voulais sans cesse comprendre ce que je faisais à l’école et on ne m’expliquait pas. Cela motive beaucoup mon action aujourd’hui.

J’ai fait des études de philosophie puis un master en ressources humaines. Après avoir travaillé en entreprise, j’ai été éducateur à la Fondation des Orphelins d’Auteuil. Je me suis alors posé la question de continuer en tant qu’éducateur ou professeur. Je sentais une frontière forte et puissante entre ces deux métiers. Et puis, j’ai découvert le projet de l’école Alexandre Dumas à Montfermeil, là où les professeurs sont des éducateurs. J’y suis devenu professeur d’Histoire-Géographie, j’ai rencontré Fabienne et j’ai décidé de rejoindre son aventure.

Qu’est-ce qui anime cette école ?

Niels : Etre citoyen du monde c’est bien, mais si on n’est pas d’abord citoyen d’ici (de son quartier, de son territoire), on ne pourra jamais devenir ce citoyen du monde. Nous sommes au coeur du quartier de l’Epeule à Roubaix. Nous expliquons aux enfants qu’ils peuvent avoir des racines, des cultures, des religions différentes, mais qu’au sein de l’école, on parle tous la même langue d’un pays qui a un patrimoine et une culture. On ne peut aimer que ce que l’on connaît. Alors, nous leur faisons d’abord connaître le patrimoine et la culture de leur territoire. C’est ce qui va les rassembler. A la maison, les parents leur parlent de leur culture et on en discute tous ensemble à l’école.

A la rentrée, je leur ai posé la question suivante: qui est Français ? La moitié de la classe a répondu « Je suis musulman », certains ont même dit « Je ne sais pas, je vais demander à Maman ». L’instruction permet d’éclaircir nos pensées et surtout d’être plus serein.

Pour répondre à votre question, cette école est portée par trois valeurs :

La connaissance pour être libre : l’école est là pour préparer à grandir et à être des êtres humains libres de leurs choix, mais pour cela, il faut maîtriser la langue et le calcul.

L’éducation à la vérité : nous avons à coeur de faire prendre conscience aux enfants que le mensonge est le poison de la relation humaine ; nous leur apprenons à être franc, à assumer la honte, pour préparer à de vraies amitiés.

La fraternité pour construire ensemble un bien commun : la fraternité est assurément ce qui, aujourd’hui, manque le plus à notre société.

Nous nous efforçons de développer la personnalité de chaque enfant dans toutes ses dimensions : le corps, le coeur, l’esprit. Il s’agit de structurer leur intelligence et leur personnalité pour former des êtres libres, capables de tracer leur propre trajectoire dans l’existence.

Et concrètement, comment cela se traduit-il ?

Niels : Nous avons une très forte exigence sur le plan académique. Chaque matin est consacré à l’apprentissage des savoirs fondamentaux : savoir compter, écrire, s’exprimer. L’après-midi le travail est orienté sur le développement des facultés physiques et artistiques. La fin de journée est réservée à l’apprentissage des méthodes de travail durant les études dirigées. Nous sommes très contrôlés et suivis. Nous n’avions pas ouvert depuis trois semaines que nous avions déjà une inspection académique.

Nous travaillons avec chaque enfant, de manière personnalisée, sur les notions de confiance, d’estime de soi et de bienveillance. Nous vouvoyons les enfants pour leur montrer notre respect, nous leur demandons de jouer ensemble dans la cour, les repas sont pris ensemble et chaque soir, je reprends avec eux la journée pour parler ensemble de ce qui s’est bien, moins bien passé et des améliorations à apporter. Les enfants prennent ainsi conscience de ce qui est arrivé et repartent plus sereins à la maison. Tout ceci bien sûr est fait avec les parents qui sont partie prenante dans cette pédagogie. Ils sont eux aussi responsabilisés.

Quelles sont vos plus belles satisfactions depuis l’ouverture de l’école ?

Niels : Quand Israe est arrivée, elle devait être orientée vers une classe pour handicapés. Elle suit parfaitement le cursus aujourd’hui. Tony a un strabisme, il se faisait traiter d’handicapé depuis le CP, il est épanoui ici. Moussa était très dur et il subissait pression et cruauté de la part d’autres enfants. Il devait être orienté vers un établissement spécialisé dans l’accueil d’enfants ingérables. Aujourd’hui, il joue avec les autres enfants dans la cour, il dit bonjour le matin au professeur, ce qui est pour lui une grande victoire. Et puis il y a Ryan. Cet enfant était placé hors de sa famille. Il est venu dans cette école, il a réintégré sa famille et aujourd’hui il fait des câlins à sa mère.

Selon vous, que manque-t-il à l’école aujourd’hui ?

Niels : la responsabilisation et la mesure de l’impact social des actions menées. L’école est devenue le système le plus inégalitaire !

Fabienne : le pragmatisme. Arrêtons de dépenser des milliards et d’être aussi dogmatique. Les solutions sont connues. L’Education Nationale doit se reconnecter avec le terrain.

Dans quelle lettre de CRAZY ! vous retrouvez-vous Niels ?

Dans le AZY. Ici, je ne suis ni dans la curiosité ni dans le rêve, mais dans le concret et l’action.

Et vous Fabienne ?

Le Y de Yes it’s possible ! me va bien. Ce qui est possible, c’est ce qu’on peut lire sur le fronton des mairies. Nous agissons pour plus d’égalité équitable, nous permettons à chacun de s’inscrire dans l’éventail social. Nous avons récupéré des enfants qui ne savaient pas écrire. Ils ont comblé leur retard au bout de trois mois !

La cloche sonne la récréation du matin. Un petit arrive accompagné par deux grandes maternantes. Il s’est égratigné et pleure à chaudes larmes. Il attend en sanglotant dans le bureau du directeur. Niels le connaît bien, comme chacun des élèves de l’école. Ce petit a toujours besoin d’être chouchouté : un mot chaleureux et un peu de désinfectant arrêtent les pleurs. La cloche sonne de nouveau, il faut rentrer en classe. Niels sort dans la cour. Les rangs se forment, ça se chamaille encore, ça parle toujours trop fort, peu à peu le silence se fait. Il est temps de rentrer en classe. Cette école est une vraie source d’espoir pour les enfants de ce quartier. Elle démontre aussi que la société civile est capable de beaucoup pour peu qu’on ose lui faire confiance.

Le site la cordée : www.courslacordee.fr

Le site Fondation espérance banlieues : www.esperancebanlieues.org

5 commentaires sur “FABIENNE CHARVOLIN et NIELS VILLEMAIN : transmettre les clés pour être responsable de sa vie

  1. Bravo à vous Fabienne et Niels et toute l’équipe de l’Ecole la Cordée à Roubaix! Développer en plus à l’Ecole le potentiel de chacun des enfants ; construire, avancer, croire… Vous êtes de formidables semeurs de Foi et d’Espérance pour notre XXIème siècle dans les Hauts de France !

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