
Sophie Mayeux
Crédits photo : Nathalie Duvivier
C’est le premier portrait de notre nouvelle formule de CRAZY! Dans notre souci de simplification, nous ne nous imposons plus de rencontrer physiquement la personne. J’avais un peu d’appréhension, car jusqu’à présent j’avais toujours fait mes interviews en face-à-face. J’aime voir les gens, entrer en contact avec eux, par le regard, le sourire. Au téléphone, je pensais que ce serait plus difficile. En réalité, j’ai l’impression que l’entretien est plus intense. En effet, ne pas voir la personne fait appel à l’imagination, un peu comme lorsque l’on écoute la radio. Je me suis raccrochée à la voix, aux intonations. Je n’avais volontairement pas regardé la photo de Céline avant de l’appeler, afin d’être complètement dans la découverte. Dès les premiers échanges, je sens une femme déterminée et volontaire qui parle avec passion.
Céline habite à Dunkerque, elle est mère de deux enfants de 3 et 6 ans et est enceinte d’un troisième. Pas simple tous les jours d’être une maman en fauteuil roulant. « Ca va être dur, je le sais. Mes problèmes de santé ont commencé lorsque j’avais 13 ans. Je ressentais de la lenteur et des troubles de l’équilibre. J’ai découvert que j’avais une atrophie du cervelet, c’est la partie du cerveau qui dirige tous les mouvements. Cela fait 10 ans que je suis en fauteuil roulant, je peux faire quelques pas accompagnée. J’ai un travail, un mari, des enfants, une maison, tout va bien ! » Céline passe donc la très grande majorité de son temps assise. Elle se bat avec énergie, pour avoir une vie normale, contre les clichés de la société sur les personnes handicapées, et plus particulièrement sur la femme handicapée. Les mots qui relatent son expérience sont lucides, parfois durs, mais ils doivent nous faire réfléchir à notre comportement et notre manière de les regarder.
Un autre regard sur la femme handicapée : « la différence peut faire peur, mais lorsque l’on gratte un peu, on se rend compte qu’on est tous pareils ! »
Céline a une formation de documentaliste, métier qu’elle exerce dans les années 2000 dans le cadre du dispositif du Contrat Emploi Solidarité (CES). Ses contrats prenant fin, Céline démarre comme bénévole dans une association d’aide aux personnes handicapées moteur. Elle devient agent administratif dans le domaine social. « Je suis une personne handicapée qui aide les personnes handicapées. Mais je ne les prends pas par la main, ce n’est pas mon genre. Je leur dis plutôt que s’ils veulent quelque chose, ils doivent se donner les moyens de l’avoir. » Alors qu’elle est enceinte de son deuxième enfant, Céline n’est plus satisfaite de sa vie. Elle veut donner du sens à son travail, être utile. Elle découvre une association basée à Besançon agissant dans le domaine de la mode et le regard qui est posé sur la femme handicapée. « La femme handicapée est mal perçue. La personne en situation de handicap est en général vue comme quelqu’un qui vit dans un institut, donc elle n’est pas autonome, elle est malheureuse et seule, elle est sale et ne prend pas soin d’elle. Je voulais montrer le contraire. » Céline devient d’abord déléguée générale de cette association bisontine, et décide de créer une antenne sur le Nord, « je voulais diriger les choses, » précise-t-elle avec un sourire. C’est vrai que Céline n’est pas de celles qui se laissent dicter ce qu’elles doivent faire. Son but est clair : à travers des actions dans les domaines de l’image et la mode, il s’agit de changer le regard de la société sur la femme handicapée et de changer le regard de cette dernière sur elle-même, afin de lui montrer tout son potentiel caché.
L’AREFH NORD existe depuis 2016, elle regroupe une vingtaine de femmes de Béthune à Dunkerque en passant par Lille, dont la moitié est en fauteuil roulant ou avec cannes et l’autre moitié est valide. A mon étonnement, Céline me répond que toutes ces personnes sont à cent mille lieux des canons de beauté de la mode et qu’elle prône au sein même de son association l’expérience de la diversité, la différence, le vivre-ensemble. C’est en changeant le regard que nous avons les uns sur les autres que les choses avanceront. « La différence peut faire peur, mais lorsque l’on gratte, on se rend compte qu’on est tous pareils ! Ce sont toutes nos différences qui font la richesse de la société. »
Même si l’association n’a pour l’instant q’une seule année d’existence, ses projets sont déjà riches. Elle organise et participe à des défilés de mode. Par exemple, l’AREFH NORD participera fin 2017, comme en 2016, au salon AUTONOMIC à Lille Grand Palais. L’association vient d’organiser le vernissage d’une exposition photographique qui est le début d’une aventure itinérante. Ce projet a pour objectif de montrer que la femme handicapée n’est pas celle que l’on croit. 15 femmes handicapées ont participé à ce projet qui comporte 30 photographies, 2 images par femme : l’une montre la personne dans toute sa beauté et sa féminité, et l’autre donne à penser que la femme n’est pas seulement une enveloppe plastique mais aussi un être qui a des passions, un travail, une vie. Imaginez le chemin que ces femmes ont dû parcourir pour oser montrer à un photographe ce handicap avec lequel elles vivent parfois mal.
« Le changement viendra de la société, pas des politiques. »
Je questionne Céline sur son combat. « Les gens manquent d’information. Ils ont des idées préconçues, et pour cette raison, sont maladroits et font très mal. Par exemple, dernièrement je faisais mes courses dans un supermarché. A la caisse, dans la queue, une femme devant moi me regardait avec insistance. Elle m’a littéralement pris mon panier des mains pour déposer tous mes articles sur le tapis ! Je sais que cela partait d’un bon sentiment, mais je suis tout à fait autonome ! Les gens réagissent comme ils croient être bien, mais ce n’est tout simplement parfois pas à propos ! »
Je rentre petit à petit dans le mental d’une personne handicapée. Il existe une multitude de niveaux de handicap et force est de constater que nous, valides, avons tendance à faire des amalgames. Chez la personne handicapée, il existe différents niveaux d’acceptation : certaines n’acceptent pas du tout leur handicap, d’autres y font face de manière aigrie ou agressive, et enfin les dernières acceptent. Céline continue. « Pour ma part, ce sont mes enfants qui m’ont permis de me voir autrement : je ne suis plus n’importe qui maintenant, car je suis une maman ! Quelque soit le problème, on ne peut pas passer notre vie à nous plaindre. Si l’on veut que les gens nous regardent autrement, il faut nous remettre nous-mêmes en question, au même titre que chacun. Il ne faut pas nous réfugier derrière notre handicap. Et ce n’est pas parce que quelqu’un dans un gouvernement dira qu’il faut regarder les handicapés autrement que cela fonctionnera. Le changement viendra de la société et pas des politiques. Il faut encourager les associations, les personnes qui s’engagent, mais surtout ne pas tomber dans un discours larmoyant. Je ne supporte pas que l’on nous parle comme si nous étions des enfants dépendants. Il y a un vrai travail de changement des mentalités à entreprendre pour ne pas nous faire sentir différents et nous accepter comme Monsieur et Madame Tout le monde. Je ne suis plus rebelle comme j’ai pu l’être jeune, j’ai pris du recul sur la vie. Les efforts doivent venir des deux côtés. »
Réussir à se faire confiance
Je continue de laisser la parole à Céline, car son témoignage est fort et très touchant. « Jeune, j’en voulais à la Terre entière. Cela aurait peut-être été moins difficile si j’étais née handicapée. Les enfants sont durs entre eux et j’ai très mal vécu ma différence lorsque j’étais adolescente. Tous mes amis m’ont laissée tomber. Mon père a longtemps nié mon handicap. Il ne l’a accepté que lorsque j’avais 20 ans ! Mes parents ont divorcé alors que je n’étais âgée que de 5 ans. J’ai été élevée par mon père, et j’ai eu très peu de contacts avec ma mère. Enfant, je me suis sentie profondément abandonnée. J’étais souvent seule dans ma tête et physiquement. J’ai donc toujours dû me débrouiller toute seule. Je pousse mes enfants à être autonomes. J’essaie d’être une maman présente, je les regarde de loin, mais je suis toujours là au cas où. Dire je t’aime à un enfant c’est tellement important. Au début, je me forçais à le dire, car on ne me l’avait tellement pas dit à moi quand j’étais petite.
J’ai développé une grande confiance en moi grâce à mes enfants, et parce qu’avec mon association, j’ai pris conscience que j’étais capable de construire quelque chose. J’ai réussi à me dire que le handicap ce n’est pas une condamnation, mais il faut se battre. C’est ce qui me tient à cœur de transmettre dans mon association, je fais tout ce que je peux pour tirer les filles sans cesse vers le haut. Il y a des jours où je suis découragée, mais quand je vois leurs sourires et leur joie de défiler ou de se faire prendre en photo alors qu’avant elles n’auraient jamais osé, je me rends compte que ça me fait du bien autant qu’à elles. Je suis tellement heureuse de voir que j’ai une utilité, que je peux faire autre chose que la cuisine… »
Dans quelle lettre de CRAZY se retrouve Céline Charlier-Morelle ?
« Je me retrouve dans toutes les lettres ! Mais si je devais en choisir une, je choisirais le A d’Audacieux. Si je n’étais pas audacieuse, je n’aurais pas fait tout cela. Et puis, je suis très ambitieuse aussi. Je me défonce pour mon association, c’est vraiment un deuxième travail, j’en oublie parfois ma vie de famille. Quand quelque chose me passionne, c’est tout ou rien ! »
Et Céline n’est pas en reste d’idées ! En ce moment, elle monte avec l’AREFH un projet, les Modeuses, dont le but est d’organiser des shootings avec des créateurs de mode locaux. 6 femmes handicapées et 6 femmes valides participent à cette aventure. Il s’agit de montrer que la mode est accessible à TOUTES.
Je raccroche enrichie de tellement d’action, de passion et de reconnaissance, car Céline s’est livrée avec une confiance absolue. Ce portrait nous livre tous les secrets de l’optimisme : le courage, l’ouverture d’esprit, la capacité à prendre du recul et à trouver des solutions, la confiance (en soi et en les autres), l’action, et surtout, le goût de la vie.
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