
Sophie Mayeux
La première fois que j’ai rencontré Maud, j’ai été surprise par sa manière très différente de présenter ses produits zéro déchet. Aucun jugement, aucune culpabilisation, juste une façon patiente et bienveillante d’expliquer que ce n’est pas si compliqué de passer au zéro déchet, et que surtout, chaque geste est une contribution positive et essentielle vers une consommation raisonnée et a donc un impact sur la préservation de la planète. Sa conviction est la suivante : pour que le plus grand nombre de personnes se mette au zéro déchet, il était primordial que cela soit simple, agréable, et en plus si les produits sont jolis, c’est encore mieux. C’est la raison pour laquelle elle imagine et conçoit des objets pour que les gestes les plus banals et les plus fréquents soient synonymes de bien-être et de praticité. Et puis j’ai été étonnée par la passion de cette jeune femme de 32 ans, son discours intarissable et son envie vitale de changer les modes de consommation.
Maud a créé en mai 2018 ManaMani, une marque d’objets lavables et de consmétiques solides qui permettent de réduire les déchets, d’acheter moins et de produire de façon plus raisonnée. Mana est le diminutif de “manana” qui signifie “demain” en espagnol et “mani” les mains en italien. ManaMani signifie donc “demain on fait plus de choses avec nos mains”, un vrai retour à l’authentique et l’essentiel.
La prise de conscience
Maud Cavrois – “ Mon mari et moi avons vécu deux ans en Corée du Sud puis un an à Abou Dabi, et enfin deux ans à Rome. A Abou Dabi, on ne pratique pas le tri sélectif du tout, il y a des supermarchés partout. C’est un endroit où la sur-consommation est organisée. A l’époque, nous n’étions pas spécialement sensibilisés à quelque démarche écologique que ce soit, nous prenions souvent l’avion car nous étions expatriés, nous passions notre temps à remplir nos poubelles de plastique. C’était trop ! Cela nous a interpellés sans que l’on sache pourquoi, nous avons fait une réaction épidermique. A Rome, nous avons eu notre deuxième enfant, et cette fois-ci nous remplissions nos poubelles de couches. Nous avons décidé de passer aux couches lavables avec un bébé de quatre mois et demi et un premier en bas âge. Progressivement, nous avons aussi enclenché une démarche pour réduire nos déchets en général. J’ai voulu chercher des produits écologiques et lavables pour remplacer mes carrés démaquillants. J’en ai trouvé, mais ils n’étaient pas fabriqués à 100% en France. C’est là que j’ai décidé de les fabriquer moi-même, pour ma propre utilisation. Et puis l’idée d’agir pour sensibiliser le grand public sur la réduction des déchets a peu à peu germé. ”
Comment est né ManaMani ?
MC – “ Au début, je voulais juste attirer l’attention sur le gaspillage à travers des produits jetables comme les carrés démaquillants et amener les utilisateurs à changer leur mode de consommation. Si nous avions réussi à arrêter d’acheter des essuie-tout et des cotons jetables, tout le monde pouvait le faire. Mon idée de base était donc la suivante : remplacer le geste du jetable par celui du lavable en proposant un produit accessible, fabriqué en France et joli. Je pensais créer un seul produit, les carrés démaquillants, animer des actions de sensibilisation, mais pas forcément en faire mon travail.
J’étais toujours à Rome, j’ai commencé à travailler sur le projet pour qu’un site d’achat en ligne soit prêt à être lancé dès notre retour en France. Avec un couple d’amis, nous avons fait des soirées brainstorming pour tester les prototypes que je faisais fabriquer. Puis, nous avons déposé le premier brevet pour le kit de carrés démaquillants lavables vendu aujourd’hui sur le site. Une fois le premier produit conçu, je me suis dit qu’il fallait continuer, car il y a d’autres gestes du quotidien que l’on peut transformer : on peut arrêter d’utiliser de l’essuie-tout et du film alimentaire jetables, du shampoing et du savon liquides… ”
ManaMani aujourd’hui : une entreprise qui donne du sens à la vie
MC – “ L’entreprise a été lancée en mai 2018 et démarre bien. C’est une activité dans laquelle je veux insuffler beaucoup de sens et avec laquelle je veux avoir un impact environnemental et social positif. Les matières premières viennent prioritairement de France sinon d’Europe. Les produits sont fabriqués en France dans des ateliers d’insertion. Nous ne sommes pas dans une démarche de production industrielle. Lorsque la capacité de production d’un atelier est atteinte, je dois en trouver un nouveau. Je viens de démarrer avec notre sixième atelier. Ce mode de production donne une dimension humaine à notre projet. Je fais beaucoup de rencontres, je tisse des liens, j’apprends énormément. C’est la partie de mon travail que je préfère.
Mon mari a rejoint l’aventure depuis le début du mois de mai 2019. Il a démissionné pour que nous développions ensemble ManaMani. Il a été très impliqué dans le projet dès le début et très écolo dans sa façon de vivre. J’ai vité été débordée par l’engouement du public pour nos produits (et tant mieux, c’est encourageant ! ). Il m’a proposé de l’aide naturellement. Nous n’avons pas spécialement de plan : nous sommes dans une dynamique positive, nous suivons juste notre chemin en nous disant que nous pouvons donner un sens à notre vie. Souvent, nous nous demandons ce que l’on dira de nous-mêmes sur notre lit de mort. Nous sommes en quête perpétuelle de sens, tant dans la sphère professionnelle que privée. Nous avons choisi de créer un travail qui a du sens pour nous tout en ayant du temps à consacrer aux gens que l’on aime. Nous sommes conscients que c’est risqué et que nous pourrions gagner moins d’argent, mais comme notre mode de vie tend vers une consommation moindre, cela nous convient. ”
“ Le zéro déchet, plus qu’un choix de vie, un engagement qui peut parfois nous faire sentir en marge en fonction des groupes sociaux que nous côtoyons. ”
MC – “ Dès lors que l’on commence à s’intéresser au zéro déchet, à l’impact de chacun de nos gestes, il est impossible de faire marche arrière. Mettre le doigt dans cet engrenage a transformé notre vie. En étant conscients de toutes les conséquences d’une inaction quant à la réduction des déchets, nous avons alors réalisé que nous ne pouvions plus vivre comme si de rien n’était. Aujourd’hui, il y a beaucoup de produits que nous n’achetons plus.
Par exemple, les vêtements : nous n’achetons que des vêtements de seconde main tant pour les enfants que pour nous, à part les chaussettes et les sous-vêtements. L’industrie textile est la deuxième industrie la plus polluante du monde. C’est un impact humain et environnemental catastrophique, avec des répercussions pas seulement sur notre quotidien, mais de manière beaucoup plus globale. Je m’achète une tenue par saison et c’est une tenue d’occasion. Je revends ce que nous ne portons plus sur des sites spécialisés. Cela a été un gros changement pour moi qui m’achetais souvent des vêtements. En prenant conscience de la manière dont on consomme, on arrive finalement à changer son mode de consommation global, et on réussit même à faire des économies.
Autre exemple, la cuisine. Nous n’allons presque plus au supermarché, nous consommons frais, localement. A l’achat, ça peut coûter plus cher, mais au final, nous achetons la juste quantité de nourriture nécessaire à la famille, nous n’achetons pas de choses superflues, nous dépensons moins.
Encore un exemple, la voiture. Nous faisons attention à prendre le train plutôt que la voiture lorsque cela est possible. Je suis interpellée lorsque je vois une personne seule dans sa voiture, alors que ça m’arrive aussi. Mais aujourd’hui, je réalise que c’est finalement une grosse machine polluante pour ne transporter qu’une seule personne. Par exemple, plusieurs collègues de mon mari sont voisins. Chacun prend sa voiture pour aller travailler. Mon mari a discuté avec eux de l’empreinte carbone que chacun produisait, tous avaient conscience de cela, mais tous ont avoué avoir ce type de comportement par habitude, sans se poser de question. Nous essayons d’expliquer ce qui nous questionne sans être dans la culpabilisation.
Ce processus de consommation consciente nous rend plus heureux, nous nous sentons moins encombrés, moins pollués par des choses dont nous n’avons pas besoin. On est dans une consommation de l’instant, du plaisir, amplifiée par internet. On achète des objets que l’on pose ensuite quelque part sans plus y faire attention. Dès que nous voulons acheter quelque chose, nous avons appris à nous demander si l’objet désiré va vraiment nous apporter un bénéfice. Mais cela ne se fait pas du jour au lendemain. Nous avons mis trois ans pour changer nos habitudes.
Lorsque nous abordons le sujet du zéro déchet, nous essayons toujours de n’être ni dans le jugement, ni dans la culpabilisation. Nous encourageons les initiatives positives et les passages à l’action. Nous en parlons beaucoup autour de nous. Dans nos dîners entre amis, nous parlons poubelle. Nous constatons que la très grande majorité de nos proches, nous avouent que grâce à nous, ils ont pris conscience de l’importance de faire des efforts. Mais pour la petite minorité restante, nous avons vraiment l’impression d’être des “gros relou” ; ils nous rétorquent qu’ils n’ont pas le temps pour s’engager dans une démarche zéro déchet, qu’ils ont trop de boulot, que ce n’est pas pratique, que cela coûte de l’argent… Avec ManaMani, je veux montrer que l’on peut avoir une vie “normale et intégrée” tout en ayant une démarche zéro déchet. ”
Réapprendre à être plutôt qu’à avoir
MC – “ Je me sens découragée lorsque je vois la profusion des cadeaux au moment de Noël, par exemple, je me dis qu’on va complètement à l’encontre de tout ce qu’il faut faire pour sauver la planète. J’ai parfois l’impression que tout ce que je propose avec ManaMani est annulé. Dans le même temps, je me dis que tout ce que chacun peut faire à son échelle personnelle a son importance, ce sont autant de bonnes habitudes prises dès maintenant.
Envisageons le zéro déchet comme un processus qui nous permet de réapprendre à prendre le temps. Prenons l’exemple des courses : et si on faisait des courses non pas un passage obligé au supermarché pour remplir et désemplir machinalement un caddie, mais un moment de promenade agréable, en famille, au cours duquel on prend le temps de marcher, de discuter avec les commerçants… Prenons un autre exemple, celui de partir en week-end avec des amis, loin, d’imaginer de prendre l’avion. Est-ce que ce ne serait pas tout aussi bien de se retrouver dans un gîte pas trop loin, car finalement, le plus important c’est d’être ensemble, de passer un moment avec les gens que l’on aime. Réapprenons à être, plutôt qu’à avoir. ”
Dans quelle lettre de CRAZY! se retrouve Maud ?
MC – “ Yes it’s possible ! bien-sûr. Il n’y a pas de petit geste surtout quand on est sept milliards à les faire. ManaMani a démarré en mai 2018 et a vendu deux milles kits démaquillants. Cela signifie que deux milles personnes ont arrêté d’acheter du coton démaquillant ! Sachant que ManaMani n’est pas seule à proposer des produits pour réduire ses déchets, on peut en déduire que le mouvement se met en marche. Si chacun fait un pas, cela peut changer quelque chose, car on est forcément un exemple pour quelqu’un ; notre geste aura donc forcément un impact sur ce quelqu’un qui va s’engager et donner envie à quelqu’un d’autre pour qui il est à son tour un exemple de s’engager. Le cercle des proches constitue le premier vecteur du changement. ”
Je me rends compte que la démarche zéro déchet va bien au-delà de la réduction des déchets. C’est un vrai choix de vie qui permet de retisser des liens sociaux, plus authentiques avec soi même, les autres, le monde et qui pousse à se recentrer sur ses besoins les plus essentiels. Alors, vous le commandez quand votre kit démaquillant ? Moi c’est déjà fait 😉 et j’ai déjà équipé ma fille, mes sœurs… !
Plus d’information :
Le site : https://www.manamani.com/
Facebook : @ManaMani.france
Instagram : @_manamani_