PEDRO JIMENEZ : l’homme qui ne laissait personne le freiner

crazy 6

par Sophie Mayeux

J’avais eu l’attention attirée par un article de presse sur un homme, salarié d’une petite entreprise ayant déposé le bilan, et qui avait décidé de la sauver en la rachetant. La phrase qui avait suscité ma curiosité était : « Je n’avais jamais imaginé être patron. » Je m’étais alors demandé ce qui avait été pour cet homme l’événement déclencheur. Je décide de faire le portrait de Pedro Jimenez pour ce nouveau numéro de CRAZY, car je me dis qu’il y a certainement à apprendre d’une telle aventure.

J’arrive dans la zone d’activités de Templemars, je trouve les locaux d’ETIFLEX au fond d’une allée, je rentre dans l’entrepôt. Un immense gaillard m’accueille avec un air jovial : « Ah mais vous arrivez par l’entrée des artistes ! » Je le rejoins dans ses bureaux. Je peux voir de multiples photos de rugby, quelques ballons en exposition. Je fais vite le rapprochement avec la large carrure de celui qui m’a accueillie. C’est un homme à la voix douce et posée, un brin discret, qui me raconte alors comment il a décidé un jour de se prendre en main pour sauver son entreprise et créer de l’emploi.

Comment on décide de devenir patron après quelques nuits blanches

Pedro Jimenez est de formation technico-commerciale. Il m’explique que c’est pour lui un vrai paradoxe, car il est plutôt timide, mais il persévère dans ce métier. Il démarre en tant que représentant dans l’imprimerie. « J’étais content de trouver dans ce secteur car j’aime la caligraphie. C’est beau quelqu’un qui a une belle écriture. Je recherchais un travail technique et j’ai trouvé dans le domaine de la fabrication d’étiquettes. » Je découvre un univers qui me semblait tout à fait banal et qui s’avère être terriblement technique. Pedro m’explique avec passion qu’une étiquette comprend cinq éléments : l’étiquette, la colle, le support siliconé, l’impression et la découpe. La difficulté est de respecter le cahier des charges du client, ne rien oublier. Quel est l’objectif de l’étiquette, quel message contient-elle, les données sont-elles variables ? Sur quel support va-t-elle être apposée, un produit surgelé, un stylo, un carton de transporteur… ? La forme est-elle classique, sophistiquée, est-elle en papier, en matières synthétiques, les attributs mécaniques ne seront alors pas les mêmes ! La colle est-elle permanente, amovible… J’étais très loin de soupçonner autant de caractéristiques dans ce petit élément que l’on côtoie si souvent dans notre quotidien.

Après ce premier poste de représentant, Pedro entre chez ETICOLOR au début des années 2000 en tant que responsable du site de production. C’est une petite entreprise détenue par deux associés et dont la gestion s’avère plus qu’hasardeuse. Fin 2009, ETICOLOR est en liquidation judiciaire. « Nous étions cinq salariés, et nous nous sommes retrouvés dehors du jour au lendemain. D’un seul coup, on ne comptait plus du tout, on n’existait plus. » Pedro cherche du travail, on lui rétorque qu’il est trop vieux, trop cher, pas assez souple. Il a 46 ans, il est à la croisée des chemins et surgit la grande question : « Est-ce que je me lance, c’est le moment, ou est-ce que je continue de chercher du travail comme salarié ? » S’il se lance, le projet que Pedro a derrière la tête est de reprendre l’entreprise qui l’a licencié, car c’est pour lui un véritable gâchis : l’outil de production fonctionne, les clients existent, et il y a cinq personnes qui ne retrouvent pas de travail.

Pedro a dû prendre sa décision très vite, car lorsqu’une entreprise est en liquidation judiciaire, toutes les procédures de fermeture vont très vite. « On réfléchit à toute vitesse, on passe des nuits blanches, on en parle avec sa femme et ses enfants, on calcule, on fait ses comptes. Mon épouse m’a encouragé – Je ne sais pas comment on va faire, mais je sens qu’il faut que tu le fasses, m’a-t-elle dit. Mes enfants m’ont poussé. Je me suis dit – Personne ne veut de toi, alors crée ton emploi. » La décision est prise, Pedro se met en position de première ligne pour racheter ETICOLOR.

Comment on relance une entreprise en liquidation en 3 mois

Pedro va vite, il avance. Il contacte la Chambre des Métiers, la Chambre de Commerce, qui ne vont pas forcément à la même vitesse que lui. Il prépare son business plan avec une amie expert-comptable. « C’est serré, lui annonce-t-telle, mais ça tient la route. » Pedro entame le tour des banques. « J’ai fait le tour de toutes les banques de la place. J’attends encore la réponse de certaines… Je n’ai eu que des réponses négatives. C’est vrai que début 2010, nous étions en plein contexte de crise. A force de parler de mon projet avec des amis, l’un d’entre eux m’incite à appeler sa banquière. J’explique pour la nième fois mon projet. Elle décide de me faire confiance et m’obtient un rendez-vous dans la foulée avec son directeur. Je réussis à le convaincre et le lendemain il me donne sa réponse positive pour le prêt bancaire nécessaire pour redémarrer. » Pedro relance l’entreprise. Il change le nom qui devient ETIFLEX. Certains clients partent, mais beaucoup restent et connaissant la situation financière difficile de l’entreprise raccourcissent leurs délais de paiement, ils encouragent l’initiative de Pedro. Y a-t-il une recette miraculeuse ? « La confiance et le travail, me confie Pedro. 90% des clients sont restés, la majorité des fournisseurs aussi, alors que certains n’avaient pas été payés lors de la liquidation judiciaire. Pourquoi ils m’ont fait confiance ? Je pense que c’est parce que je suis sérieux, je tiens mes engagements, je fais ce que je dis, je ne mens jamais. » C’est vrai qu’on a envie d’accorder sa confiance à cet homme authentique et sincère à l’esprit d’équipe : « Je paie en premier mes fournisseurs, ensuite mon équipe, puis moi. Je ne me suis pas lancé pour l’argent. »

« Je n’ai jamais laissé personne me freiner »

Pedro Jimenez est un ancien rugbyman, il jouait devant. « Le rugby est un jeu où l’objectif est de gagner du terrain. Il ne faut jamais reculer. Le pack ne fait qu’avancer, m’explique-t-il. Pour réussir cela, il faut une bonne équipe, s’appuyer sur elle et savoir se sacrifier pour elle. Je suis respectueux du cadre, j’ai toujours avancé en respectant les procédures administratives et les hommes, mais lorsque ça n’avançait pas assez vite, je ne me suis jamais laissé freiner. Reprendre une entreprise en liquidation judiciaire, c’est une course contre la montre. J’avais besoin d’un document signé par le Tribunal de Commerce pour continuer l’activité. Il n’arrivait pas. Alors j’ai fait le pied de grue devant le Tribunal et à la fin, c’est le Président lui-même qui a signé mon papier ! Je me suis battu chaque jour. J’ai relancé l’activité au début avec le peu d’argent personnel que j’avais, et une association d’aide aux entrepreneurs qui m’avait accordé un prêt à taux 0 de 15000 euros. »

ETIFLEX passe le cap de la première année avec un large bénéfice. Grâce à un travail acharné, l’année suivante ETIFLEX réussit à quasiment doubler son bénéfice. La troisième année, ETIFLEX acquiert une nouvelle machine qui lui permet de développer de nouvelles étiquettes et d’accéder à de nouveaux marchés. L’entreprise tourne a plein régime et en 2014 un grave dégât des eaux met un coup de frein à l’activité. Pedro ne se laisse pas démonter. Il jette 20000 euros de marchandise, déménage dans de nouveaux locaux, ses locaux actuels, et rebooste son pack.

« Nous sommes très heureux ici. Les bureaux et l’entrepôt sont lumineux, il y a de la place et du chauffage. Ce n’est pas simple tous les jours, comme pour tout entrepreneur, mais je suis un éternel optimiste. »

Quelques conseils à ceux qui auraient l’envie d’entreprendre

« Il faut croire en soi. Le soutien des proches est très important. Il ne faut rien lâcher, jamais. Il faut mettre les mains dans le cambouis. Il faut rester humble et respectueux, savoir s’engager, avoir confiance en soi et en son équipe. Je souhaite à beaucoup de gens de connaître la joie et le bonheur que j’ai ressenti à me lancer. »

Dans quelles lettres de CRAZY ! se retrouve Pedro ?

Pedro décide de me donner sa propre définition des lettres de CRAZY !

« C comme courageux. R comme responsable. A comme audacieux, je garde l’audace, car je ne m’avoue jamais vaincu, j’ai toujours un projet en cours, un coup d’avance, et pour réussir, il faut être audacieux, surtout en ce moment. Z comme zinzin, je suis zinzin. Et Yes we can ! »

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