
par Vanina Lézies Toulemonde
Notre rendez-vous a lieu à la Bouquinerie du Sart : une entrée encombrée de sacs et de cartons de livres en tous genres et une vaste salle dont les rayonnages sont chargés de livres… Derrière son bureau, Vianney, et en fond sonore un microsillon craque sur un tourne-disques d’un autre âge. Mon regard se perd au milieu de toutes les pépites de cette bouquinerie : disques vinyles, BD de Quick et Fluke, de Bécassine, manuels d’histoire….
Vianney m’emmène faire le tour de la boutique et m’explique que tous ces trésors viennent de dons, triés au fur et à mesure de leur arrivée. Nous passons tout d’abord par la zone de tri où tout ce qui ne peut être revendu est envoyé vers des papetiers de la région pour être recyclé, ensuite se trouvent les nombreux rayonnages où chaque ouvrage est classé en attendant d’être vendu, puis vient enfin la zone de colisage pour préparer les commandes et envoyer les livres vendus en ligne. Tout le process semble rodé alors que la bouquinerie a ouvert ses portes il y a moins d’un an.
La solidarité engagée
Tout en écoutant Vianney, la première question que je lui pose c’est de savoir d’où lui est venue cette idée et quel parcours l’a amené jusqu’ici ?
Il hésite une minute et m’interrompt : « Je n’ai rien fait seul mais entouré… par ma femme, Géraldine, et un couple d’amis. Ils m’ont guidé dans mon parcours et ma réflexion, ils ont accompagné mon cheminement et surtout se sont investis dans cette nouvelle aventure qu’est la Bouquinerie du Sart. »
Leur engagement social commun ne date pas d’hier. En effet, depuis six ans, ils se sont engagés bénévolement auprès d’Emmaüs et distribuent la soupe un week-end par mois à la gare de Lille. Tout est parti d’une envie de faire quelque chose pour les autres et de partager cette envie ensemble. Vianney découvre le monde de la rue et rencontre des personnes qui n’ont pas l’air si différentes de lui : il trouve ces moments de partage enrichissants et passionnants.
D’ailleurs la consigne d’Emmaüs lors de ces maraudes est claire, ils sont là pour partager un moment avec les sans abris mais ne sont pas là pour les aider. Ils échangent sur les problèmes rencontrés quotidiennement par les sans abris ainsi que sur les structures d’hébergement sur Lille et sa métropole. Nourrie de ces échanges, la petite équipe souhaite aller plus loin. Elle décide donc de se rapprocher des associations de terrain pour identifier avec elles ce qu’il manque aujourd’hui au réseau lillois.
Une précieuse rencontre
Vianney va rencontrer Patrick Pailleux, directeur de l’ABEJ Solidarité. Créée en 1985, l’ABEJ Solidarité, c’est plus de 250 salariés et une centaine de bénévoles qui travaillent dans une vingtaine de structures et de services d’accompagnement tournés vers les personnes sans domicile.
Fort de cet échange avec Patrick Pailleux, il en discute avec Géraldine et leurs amis, l’idée de la bagagerie pour les sans abris prend alors corps. Ils décident alors de creuser le sujet. Vianney se rend à Paris pour rencontrer l’Association Mains Libres dans le quartier des Halles. Cette association propose une cinquantaine de casiers où chacun peut déposer ses affaires en toute sécurité pour la journée.
En 2014, avec le soutien du secours populaire, il crée alors une bagagerie à Lille et installe une quarantaine de casiers. Très vite, il transmet le flambeau au secours populaire qui la gérera, l’objectif étant d’en faire un outil d’intégration sociale.
Un tournant professionnel vers la réinsertion
Un an plus tard, Vianney se trouve à un tournant dans sa vie professionnelle. Il ressent l’envie de changer de voie, de s’investir dans un domaine d’utilité publique. Il se donne deux ans pour professionnaliser la réflexion autour des sujets de réinsertion.
Il se penche d’abord sur le problème de manque de places d’hébergement. Aujourd’hui, dans la Métropole, il existe 5000 places d’hébergement avec des spécificités : logement collectif, résidence sociale, logement temporaire… Ces 5000 places sont toutes occupées et il y a environ 500 personnes sur liste d’attente au Samu Social.
Créer des places d’hébergement se révèle très complexe et Vianney a peu de connaissance en la matière. Son objectif, réinsérer les personnes vivant dans les centres d’hébergement et libérer des places. Il se lance alors dans une véritable analyse de marché : comment remettre, des personnes sans qualification, sur le marché du travail ? Le marathon commence : il rencontre une centaine de personnes dans diverses entreprises d’insertion.
L’idée d’une économie circulaire et collaborative prend forme lorsqu’il se penche sur les produits culturels : livres, DVD, CD. Il s’oriente alors vers la revalorisation de produits. Le principe est simple : collecter des livres, DVD et CD, les trier et les mettre en vente sur un site web comme Amazon ou Priceminister. Marc-Antoine et Marine rejoignent l’aventure pour encadrer l’atelier, suivre les ventes sur internet, gérer les approvisionnements et construire des partenariats avec les bibliothèques.
Ensemble, ils partagent la même vision du projet social. Vianney crée une entreprise classique et une association. L’entreprise gérera la partie revalorisation des produits et revente sur internet. L’association permettra de prendre en charge les aspects sociaux : contrats de réinsertion etc…
Un accompagnement vers un logement autonome
En partenariat avec les centres d’hébergement, il embauche une première personne en décembre 2015 puis trois autres. Le contrat est clair. Ils passeront entre un à deux ans au sein de la bouquinerie qui leur donnera un coup de pouce pour retrouver un logement autonome. Il ne s’agit pas d’assistance, la motivation de ces hommes est essentielle.
Pour chacun d’entre eux, un projet individuel qui les aidera à retourner sur le marché du travail est défini : cela peut être des cours de français, un suivi de santé, passer le permis… Un échange individuel a lieu tous les quinze jours pour faire le point sur l’avancement du projet personnel.
Cela demande de rester vigilant, de motiver, de redonner confiance en donnant plus de responsabilités au fur et à mesure. L’investissement de Vianney, Marine et Marc Antoine est donc double : l’humain et la bouquinerie.
En parallèle, un travail est fait avec les responsables des centres d’hébergement pour passer d’un logement semi collectif (chambre + cantine) à un studio : un pas vers l’indépendance et l’autonomie quand cela est possible.
Les premiers succès se mesurent aux changements d’attitude : plus d’ouverture, de confiance, des liens avec leurs proches qui se renouent…. Les voir évoluer au sein de cette équipe est un moteur pour les porteurs de ce projet. Le cercle positif et vertueux est en marche. L’objectif à terme est de monter une équipe d’une dizaine de personnes maximum pour rester dans une structure à taille humaine.
Il est impossible de ressortir indemne de la Bouquinerie du Sart. Vous en ressortez reboosté, la voix de Vianney vous accompagne comme un petit refrain entraînant. Et surtout sa générosité contagieuse m’a donné envie de partager avec vous la richesse de nos échanges. Alors, faites-en part à votre entourage, faites le tri chez vous et donnez une nouvelle vie à vos livres, vos DVD ou CD…
Dans quelle lettre CRAZY ! se retrouve Vianney ?
Le C de curieux : rien d’étonnant chez Vianney, car la curiosité, selon le dictionnaire, « est une attitude de disponibilité ou d’intérêt à l’égard d’un sujet ou d’un phénomène donné. »
« Défricher un nouveau modèle est une aventure excitante avec une équipe hors du commun et qui sort du commun. Notre projet prioritaire est d’inventer une nouvelle voie d’accompagnement social qui marierait à la fois l’économie et le social. Le mot « curieux » est un moteur de motivation vers l’exploration de nouveaux sentiers. »