
Sophie Mayeux
Christophe Thomas est juste quelqu’un de bien. Il m’a raconté son aventure entrepreneuriale sans fard. Il n’a rien enjolivé, s’est dévoilé en toute humilité, m’a parlé de son manque de courage, de son débordement d’empathie, des tourments créés par son sentiment de culpabilité face à la misère rencontrée au coin de la rue.
Un parcours chanceux
Christophe définit son parcours jusqu’à présent comme celui d’un homme chanceux. Il a eu la chance de naître à Lille dans un milieu bourgeois, de vivre dans une grande et belle maison, de faire une école de commerce. Il a ensuite démarré sa carrière professionnelle au sein d’une banque. Il avait envie d’être entrepreneur, mais il voulait encore apprendre. Il a débuté comme analyste de crédit, puis est devenu chargé d’affaires entreprises à l’international. Il est parti deux ans en Roumanie, est passé par le département des risques de différentes fililales de la banque et est enfin revenu sur Lille. La banque a été pour lui un formidable terrain d’observation pendant quinze ans. « J’ai démissionné il y a 10 jours, m’annonce Christophe. Après un an d’intraprenariat (dispositif mis en place par certaines entreprises pour permettre à leurs collaborateurs de développer un projet personnel d’activité qui leur tient à coeur), je me suis retrouvé happé par Les Ch’tites Maisons Solidaires. Le moment est important, car c’est le moment du développement du projet après deux ans de test du concept. »
L’idée, le Airbnb solidaire : rendre utile son sur-confort en générant des revenus qui serviront à reloger des familles dans la précarité
A force de croiser dans la rue des personnes mal logées, Christophe avait de plus en plus de mal à rentrer chez lui dans sa maison de 150 mètres carrés, bien au chaud, sans se sentir terriblement coupable. « Un foyer français habite en moyenne dans 92 mètres carrés, alors qu’il y a quatre millions de personnes mal logées dans notre pays. L’inégalité est très forte. Je faisais partie de ces Français en sur-confort. Je me suis longtemps demandé comment partager mon sur-confort. J’ai un jour décidé d’aller sur le terrain faire de la distribution de surplus alimentaires dans les bidonvilles de la communauté Roms avec l’association Arthur ami des pauvres. J’ai repris le contrôle sur mon empathie qui me faisait souffrir à force d’être trop grande. J’ai pu constater que les personnes qui habitent ces bidonvilles et sont dans l’extrême précarité le vivent finalement bien mieux que nous ne serions capables de le faire. Elles restent malgré tout joyeuses et ont un autre rapport que nous aux biens et à la vie. Cela fait réfléchir. J’ai fait des rencontres et des découvertes, j’ai appris. Mais lorsque je rentrais chez moi le soir et que j’avais laissé une famille dans la rue, je continuais de me dire que je n’avais pas eu le courage de les accueillir. Un jour mon ami de maraude, un Roms nommé Tony, a reçu un avis d’expulsion. Le président de l’association Arthur, m’a lancé – Tony va se retrouver à la rue mais ce n’est pas grave, tu as une grande maison. Oui j’avais de la place, mais je devais bien avouer que non, je n’étais pas prêt à accueillir Tony et sa famille chez moi pour une durée indéterminée. J’ai dit non, mais je ne pouvais pas me résoudre à les laisser à la rue. C’est alors que j’ai trouvé ma solution. J’ai décidé d’ouvrir ma porte à des touristes d’affaires pour collecter des fonds qui me permettraient de payer le loyer pour reloger Tony et sa famille. Aujourd’hui, je loue ma maison 17% de l’année. Avec les revenus générés, je peux payer le loyer de trois familles. »
Les Ch’tites Maisons Solidaires : un moyen simple de faire sa part pour lutter contre le mal logement
Il existe aujourd’hui une communauté de trente maisons solidaires. La plateforme utilisée pour trouver des voyageurs est celle d’Airbnb. Certes, vous pourriez me dire que ce n’est pas très « économie sociale et solidaire », mais les Ch’tites Maisons Solidaires sont toutes jeunes et la technologie d’Airbnb a permis de lancer et d’éprouver le concept, ainsi que de constituer une communauté de maisons solidaires.
Comment faire pour devenir une Ch’tite Maison Solidaire ? Tout d’abord, vous prenez contact avec Christophe via la page facebook. Il vous envoie un formulaire pour savoir quel don de sur-confort vous désirez faire : un canapé, une chambre d’ami, votre maison. Vous devez être propriétaire, ou si vous êtes locataire, le propriétaire doit être d’accord avec le fait que vous louiez votre habitation pour organiser au mieux la rencontre avec les voyageurs. Vous pourrez reverser jusqu’à 100% de reverser votre revenu Airbnb aux Ch’tites Maisons Solidaires. Un reçu fiscal vous est remis. C’est ainsi toute une chaîne d’entraide qui se met en place pour permettre à chacun d’exploiter sa part de sur-confort. Par exemple, Christophe a décidé de louer sa maison en entier durant quelques jours, il a a été accueilli dans le réseau des Ch’tites Maisons Solidaires pendant ce temps-là.
Christophe est aujourd’hui incubé à Euratchnologies afin de devélopper sa propre plateforme de solution au mal logement. « J’ai besoin d’organiser l’exploitation du sur-confort à plus grande échelle. Il faut rendre l’action facile et accessible, j’imagine le parcours utilisateur. Je travaille sur une conciergerie pour par exemple éviter aux hébergeurs d’être là lors de la remise des clés, sur un service qui permet de rédiger l’annonce ou de procurer une assurance. Nous sommes en train de construire une plateforme pour lutter contre le mal logement dans sa globalité. Je reviens par exemple de Marseille où j’ai échangé avec une association qui agit avec les migrants. »
Les Ch’tites Maisons Solidaires est en train de devenir le partenaire de l’hébergement solidaire. Christophe démarche les entreprises lilloises afin que leurs collaborateurs soient hébergés dans ce réseau plutôt qu’à l’hôtel, pour donner du sens à leur hébergement. L’association héberge aussi dans le cadre d’événements de l’action sociale et solidaire qui se déroulent dans la Métropole comme dernièrement Bibliothèques sans Frontières qui s’est tenu à la Condition Publique.
Une aventure humaine : changer le regard que l’on porte sur l’autre et partager
Cette aventure entrepreneuriale est pour Christophe une véritable aventure humaine. « En allant dans les bidonvilles, j’ai réussi à dépasser tous les préjugés que j’avais sur la communauté Roms, à gérer ma propre culpabilité face à la pauvreté, à trouver ma solution pour endiguer la misère et à ressentir la satisfaction de faire ma part. J’ai eu une véritable révélation en entendant l’histoire du colibri, ce petit oiseau qui devant un incendie de forêt déverse vaillamment de l’eau de son bec ; lorsqu’on lui argue qu’il ne réussira pas à éteindre le feu, il répond qu’au moins, il fait sa part du travail. Je pense le partage avec mes limites et mes paradoxes. Et cette aventure m’a fait emprunter le chemin de la sobriété heureuse. Nous vivons dans une société du toujours plus. J’ai découvert que la sobriété libère. Le pauvre, c’est plutôt celui qui est dans le confort. J’essaie de ne rien acheter de neuf. C’est très difficile. J’ai un vieux téléphone, j’use mes vêtements, j’ai prêté ma voiture à une amie depuis trois mois et je me rends compte que je n’en ai pas besoin. Je me déplace en vélo. Aujourd’hui, les revenus de ma maison me permettraient de consommer davantage, mais j’ai choisi de partager. »
Les Ch’tites Maisons Solidaires : un laboratoire pour imaginer une nouvelle forme d’habiter la ville, créer du lien et aller vers une société de partage
Christophe Thomas est en train de travailler sur un projet financé par une enveloppe du budget participatif de la ville de Lille. Le budget participatif est une forme de démocratie participative. Il s’agit d’une partie du budget d’investissement de la cité (1,5 millions d’euros pour la ville de Lille) consacrée aux projets imaginés et choisis par les habitants. Le projet de Christophe est d’accompagner trois foyers moins chanceux pour les aider à se reconstruire dans un logement sain. Concrètement, Christophe propose de les faire emménager dans trois tiny houses au sein d’une friche urbaine et d’installer en voisins deux autres familles qui elles auront fait le choix de baisser leur niveau de confort pour venir vivre à leurs côtés. Les tiny houses sont financées par le budget participatif et les frais de fonctionnement par les Ch’tites Maisons Solidaires.
Ce type de projet permet de valoriser une friche urbaine (pendant le temps de son occupation, il n’y a pas de frais de gardiennage, l’espace est occupé et entretenu), de sécuriser des familles en situation de précarité (retrouver un logement permet de se stabiliser et de se mobiliser pour retrouver du travail et se réinsérer), de recréer du lien social (cinq foyers issus de milieux différents vont faire l’expérience du vivre ensemble).
Christophe Thomas m’explique qu’agir sur le mal logement est un levier pour transformer la société en une société de partage : « Nous organisons avec ces tiny houses la sortie de l’inconfort. Lorsque l’on est bien logé, on peut alors retrouver un travail et ainsi percevoir un salaire qui va permettre de payer un loyer, très modéré dans le cas des tiny houses. Et ce projet nous permet aussi d’aller plus loin dans l’imagination de nouvelles façons d’habiter la ville, car nous projetons de créer un espace de permaculture pour faire un pas vers l’autosuffisance alimentaire et le zéro déchet. L’objectif est d’être écologiquement rentable et de participer à la transformation de la société. Chacun a une certaine donne à la naissance. Pour ma part, j’ai eu un beau jeu de cartes : une belle maison, de belles études. Pour Tony, son jeu était moins favorable : il est né dans un bidonville et est passé par la case prison. Certains naissent dans une spirale positive et d’autres pas. Je voudrais par mon action casser ce déterminisme de la donne de départ en la rééquilibrant, tout simplement. Je ne culpabilise pas d’avoir plus que d’autres, j’exploite (ma maison en l’occurrence) pour partager et faire sortir les mal logés de la spirale qui les tire vers la misère. Aujourd’hui, Tony et sa famille n’ont plus besoin des Ch’tites Maisons Solidaires et ont eu accès à leurs droits. Maintenant, c’est moi qui ai besoin d’eux : j’ai embauché sa femme qui s’occupe de refaire une beauté aux maisons solidaires avant l’accueil de nouveaux voyageurs. »
Dans quelle lettre CRAZY! se retrouve Christophe Thomas ?
« Je ne suis pas tellement rêveur, je suis plutôt réaliste et très attaché à la politique des petits pas. L’action que je propose est un petit pas, une façon modérée, à la mesure de chacun, de remédier à la misère.
Je suis plutôt Yes it’s possible ! Avant, je me disais que je me mettrais en action à la retraite, libéré de mes obligations professionnelles et sociales. Aujourd’hui, j’ai décidé de me mettre en mouvement et n’importe qui peut le faire avec moi. N’importe qui peut décider ce soir de rejoindre la communauté des Ch’tites Maisons Solidaires. »
Inspiré par l’Abbé Pierre qui disait « la misère n’est pas une fatalité elle résulte juste de notre incapacité à penser autrement le partage », Christophe Thomas a décidé un jour de ne plus passer son chemin devant la pauvreté et de faire sa part. Il lance une campagne de crowdfunding sur Kiss Kiss Bank Bank pour développer les Ch’tites Maisons Solidaires et il a besoin de nous tous, car il est convaincu que si nous nous y mettons tous, il est possible de sortir les gens de la rue. Alors, prêts à rejoindre la communauté des maisons solidaires ?
Pour plus d’information :
Page Facebook : https://www.facebook.com/chtitemaisonsolidaire/
Site internet : http://chtitemaisonsolidaire.mystrikingly.com