Delphine Barthe : son business a un réel impact social… et ça change tout !

Delphine Barthe a créé Stirrup, la start-up solidaire qui reloge les plus démunis dans des logements vacants. Une main tendue pour leur donner une chance de réinsertion, une opportunité pour les propriétaires de préserver leurs biens immobiliers.

Les idées fusent chez Delphine. Et les projets entrepreneuriaux aussi ! C’est un vrai feu d’artifice dans sa tête. Delphine est une bosseuse qui creuse ses sujets à fond, une entrepreneuse. C’est une femme déterminée qui a décidé de tracer son chemin dans le milieu plutôt masculin d’Euratechnologies et de ne pas se laisser arrêter. Elle me dit qu’elle est aussi très émotive. « Je suis capable de pleurer quand je vois un nuage en forme de bonhomme », me confie-t-elle. Mais lors de cet entretien, sa voix ne tremble pas, son regarder est franc, j’imagine qu’elle n’est pas du genre à esquiver.

Delphine fait ses études dans école de commerce à l’issue de laquelle elle prend le chemin d’une carrière commerciale qui la mènera dans un grand nombre de secteurs d’activité : opérateur internet, grande distribution, télécommunications, imprimerie, association, protection sociale, service aux salariés, RH, conseil en ingénierie, établissement financier… « Salariée, je faisais vite le tour de mon travail. Quand je n’apprenais plus rien, que je ne trouvais plus suffisamment de sens, que j’avais peu de marge de manœuvre, je m’ennuyais. Alors je changeais de boulot. Avant, je pensais que la multiplicité de ces expériences professionnelles était un point négatif. Aujourd’hui, quand je regarde mon CV, je trouve que c’est au contraire une force, confie Delphine. J’ai commencé à me frotter au monde du travail tôt. Jeune, je vendais des frites à l’entrée d’un stade. Mes parents qui viennent d’un milieu modeste m’ont inculqué le goût de l’effort. Lorsque je voulais quelque chose, je devais travailler pour gagner l’argent qui me permettrait de l’avoir. Je connais le prix des choses. »

Une expérience professionnelle traumatisante fait partir Delphine en quête de sens

Lorsque Delphine travaille dans un cabinet de recrutement à Neuilly-sur-Seine, elle court sur ses talons aiguilles entre la maison, le train, le bureau. Elle est consultante et assume aussi des responsabilités commerciales. Elle est enceinte de sa première fille ce qui est mal accepté par son employeur. Delphine est consciencieuse, elle remplit avec succès ses objectifs. Elle travaille à distance pendant son congé maternité, la pression participe au déclenchement de son accouchement de manière prématurée. Delphine explique : « A mon retour, mon employeur n’a pas voulu me payer ma prime d’atteinte de mes objectifs et j’ai été mise au placard. J’ai  finalement été licenciée. J’ai attaqué aux Prud’hommes, perdu en première instance et gagné en appel. Ensuite, lors de mes recherches d’emploi, mon ex-employeur continuait de me harceler indirectement. J’ai appris qu’il influençait négativement en sous-marin mes entretiens de recrutement lorsqu’ils se déroulaient dans le même secteur d’activité que le sien. Mon ex- employeur a même porté plainte contre moi pour « tentative de vol de micro-ondes » ! Pendant un semestre, un brigadier recevait chaque mois une convocation qui m’étais destinée. Il a différé pendant tout ce temps le moment de me convoquer. Au bout de 6 mois, il a été contraint de me faire venir au commissariat. Là, il m’a expliqué que la prochaine convocation serait de la part de  l’identité judiciaire pour prendre les photos en vue d’une possible incarcération à la prison de Sequedin. » Delphine tient à raconter cette histoire, car elle l’a beaucoup choquée, déstabilisée et rendue extrêmement fragile. Elle en a beaucoup voulu à son ex-employeur, car à cause de cette situation, elle n’a pas profité de ses premières semaines avec sa fille nouvellement née.

Delphine a ensuite de nouvelles expériences professionnelles, courtes, car elle n’est plus prête à accepter n’importe quoi, elle est en quête de sens. Elle alterne ainsi périodes d’emploi et de chômage. Pendant ces dernières, elle aide des start-up dans un domaine qu’elle maîtrise bien, le commercial. Elle est sollicitée par la crèche où elle fait garder sa fille sur un projet de conduite du changement. Elle aime cette mission. Elle décide de s’engager dans un Diplôme Universitaire de conduite du changement. Cela lui permet de travailler sur elle, de prendre conscience que cette formation la rend heureuse et de renouer avec le monde professionnel en y retrouvant une nouvelle légitimité.

Delphine décroche un nouvel emploi. Elle est cette fois-ci recrutée alors qu’elle est de nouveau enceinte. Mais elle est contrainte d’être arrêtée très tôt : son corps se souvient du traumatisme survenu lors de sa première grossesse et se protège. De retour au travail, elle n’est pas satisfaite de l’ambiance de travail. Sa nature curieuse reprend du poil de la bête. A force de surfer et de lire sur les réseaux sociaux, elle tombe sur un article qui parle de quelqu’un qui veut développer un système innovant de télé-assistance avec un médaillon sécurisé. Delphine pense à l’histoire de sa grand-mère : « Ma grand-mère avait ce type de médaillon. Un jour, elle a eu un accident. Elle est tombée sur le ventre, a perdu connaissance et le médaillon ne s’est pas déclenché. Je me suis dit que cela pouvait être amélioré. C’est mon mari qui m’a encouragée à oser cette nouvelle aventure.»

Agir quand quelque chose vous tient à cœur

Delphine se lance dans un projet de bracelet connecté, SMART ALERT, pour personnes âgées. Ce bracelet doit pouvoir se déclencher volontairement, ou en cas de malaise, des capteurs détectant une diminution de la fréquence du pouls, de la pression artérielle et du taux d’oxygénisation. Le but est de diminuer au maximum le temps d’intervention et de faire venir la bonne personne au bon endroit. Delphine imagine sa solution à partir de l’usage et non pas à partir de contraintes techniques. Elle rédige en ce sens un cahier des charges qui est à chaque fois remanié par les sociétés de développement avec lesquelles elle travaille. « Pas simple d’être une femme sur un projet technique qui concerne la santé. Pour l’instant, SMART ALERT est en stand by, mais je n’ai pas abandonné ! Je suis partie retrouver de l’énergie dans le secteur du solidaire.»

Delphine est dans un groupe facebook sur le sujet de la récup’. Ce groupe organise une collecte alimentaire pour un campement de migrants basé à Lille Saint Sauveur et a besoin de bras pour la distribution. « La première fois, une heure avant le rendez-vous, je me suis dégonflée. J’avais une mauvaise image de ce type d’associations. J’avais déjà voulu m’engager dans une association caritative, mais à l’époque, on m’avait rétorqué qu’il était plus utile de donner de l’argent que de   l’aide. J’avais aussi réfléchi à ce que je pouvais faire pour aider les migrants à Calais. Et puis un jour d’été 2017, je suis allée sur ce campement de Lille. Il n’y avait que de jeunes hommes, Africains, et deux familles. Dans l’une d’entre elles, la fille aînée parlait anglais. La maman attendait un bébé pour Noël. Ce n’était pas possible que cet enfant naisse dehors à Noël ! J’étais révoltée : je ne voulais plus accepter l’inacceptable. Dans ma famille, nous avons une dette de solidarité. Mes arrière-grands-parents étaient originaires de Saint Quentin. Ils ont fui en famille en Corèze lors de la deuxième guerre mondiale. Ils ont été accueillis, on leur a prêté un logement. J’ai senti que c’était maintenant à mon tour d’honorer cette dette. J’ai remué ciel et terre pour trouver une solution à cette famille de réfugiés. Finalement, ce sont mes parents qui ont prêté un logement. Leurs conditions étaient les suivantes : 1/ que le logement soit restitué dans l’état dans lequel ils le mettaient à disposition, 2/ dans le cas où ce ne serait pas le cas, que des solutions existent. Et j’ai cherché. Le bail à zéro euro n’existe pas, le bail à 1 euro fait courir au propriétaire le risque d’avoir un redressement fiscal. J’ai trouvé la solution du contrat de prêt de logement qui protège chacune des parties. C’est plus simple qu’un bail, cela permet de justifier le fait de louer, cela procure au locataire un justificatif de domicile, c’est encadré. L’idée qui a mené à Stirrup est née à ce moment-là. Je me suis ensuite rapprochée de l’association l’Ile de la Solidarité qui coordonne les différentes actions solidaires sur le camp de migrants de Saint Sauveur. Leur manière de réussir à faire travailler tout le monde ensemble m’a réconciliée avec le monde associatif. » Delphine se retrouve vite à la tête d’une véritable équipe projet alors qu’elle travaille toujours sur son bracelet SMART ALERT.

L’aventure de l’entrepreneuriat : transformer un engagement citoyen en une start-up à impact social

Delphine est tiraillée entre ses deux projets : celui du bracelet SMART ALERT et celui du logement. Elle les présente tous les deux à ÉVIDENT!, incubateur d’Initiatives et Cités qui portent des projets d’innovations sociales. Elle n’est pas sélectionnée : le premier n’a pas assez d’impact et le second ne remporte pas d’adhésion. Il en faut plus pour décourager Delphine. Elle sent que c’est le projet sur la question du logement qui lui tient vraiment à cœur. C’est donc celui-ci qu’elle va présenter à l’incubateur d’Euratechnologies. Delphine a tout de suite voulu créer une entreprise et non pas une association. Elle désire être indépendante tant financièrement que politiquement  et avoir une véritable démarche « business » tout en ayant un fort impact social. Fin septembre 2018, elle entre avec sa co-équipière à Euratechnologies. « J’étais heureuse d’intégrer cet environnement avec Isabelle. Nous sommes complémentaires. Elle est plutôt technique et moi fonctionnelle. C’est une aventure qu’il vaut mieux vivre à deux, pour se soutenir, avoir un effet miroir, partager la prise de décision. Aujourd’hui, Isabelle a quitté l’entreprise mais intervient toujours comme ressource extérieure. Je suis de nouveau seule sur le projet et cela me fait parfois peur. J’ai maintenant intégré l’incubateur FALC toujours à Euratechnologies depuis février 2019. Je suis lauréate Diversidays. »

Stirrup c’est quoi ?

En anglais, Stir up signifie soulever, donner une chance. La raison d’être de cette entreprise est que le logement est une évidence. Un accident de la vie est très vite arrivé et peut toucher chacun d’entre nous. Delphine a été très marquée par un film irlandais « Rosie Davis » sur une famille qui bascule dans la précarité suite à un accident de la vie, ainsi par un reportage sur une famille qui vivait dans une tente dans le bois de Vincennes. Ils n’avaient pas d’assurance habitation, leur maison avait pris feu et ils n’avaient plus rien. Les parents avaient été obligés de placer leur petite fille. Delphine est très touchée : « Personne ne mérite de vivre dans la rue. Stirrup est une main tendue qui peut faire la différence. C’est une bouffée d’air puis un tremplin pour reconstruire sa vie. La maison, c’est la stabilité et la sécurité. Sans logement, il est très compliqué de trouver du travail et d’élever ses enfants.»

Stirrup : comment ça fonctionne ?

Delphine m’explique : « Stirrup permet à des propriétaires qui ont des logements vacants de les mettre à disposition de manière encadrée et sécurisée à des personnes qui ne peuvent pas avoir accès au logement par les chemins traditionnels. Stirrup utilise le mécanisme de la défiscalisation solidaire, dispositif légal aujourd’hui trop peu utilisé. Stirrup s’adresse aux propriétaires privés pour lesquels le fait de recevoir un faible loyer ne met pas en péril leur situation économique, et aux structures telles que les bailleurs sociaux ou marchands de biens pour qui avoir des logements vacants représente un risque de dégradation ou un coût supplémentaire de leur parc locatif. Les personnes qui peuvent bénéficier de cette solution sont toutes les personnes en situation légale sur qui je peux avoir un impact en 6 mois : les exilés qui ont un statut de réfugiés et qui peuvent travailler, les jeunes qui sortent du système d’aide sociale à l’enfance, le travailleur qui habite dans sa voiture, les femmes victimes de violence, les personnes éligibles à faire des demandes prioritaires de logements sociaux… J’agis comme un intermédiaire de location sociale : je remets du lien entre les acteurs du secteur du logement social, je les fais discuter entre eux. Cela peut parfois prendre beaucoup de temps pour trouver un logement social à quelqu’un en difficulté, et pendant ce temps, sans logement, il tombe et souvent, ne se relève pas. Je les empêche de tomber. L’ambition de Stirrup est d’avoir mis 3000 personnes à l’abri dans deux ans.»

La solution de Delphine démontre que « social » peut s’accorder avec « business ». Dans le modèle proposé par Stirrup, tout le monde est gagnant : des personnes en marge du système trouvent un logement, socle indispensable pour reconstruire leur vie et une solution est trouvée pour rentabiliser des logements vacants.

Dans quelle lettre de CRAZY! se retrouve Delphine Barthe ?

C’est un cri du cœur pour Delphine. « Dans le Y! de Yes it’s possible bien sûr ! Oui tout est possible : nous pouvons tous faire de belles choses, même si nous sommes tombés bas. N’hésitez pas à demander de l’aide quand vous êtes face à un problème ou un projet qui vous tient à cœur, ou encore en recherche d’emploi… Ne restez pas rester seul avec vos idées, sinon elles resteront des idées et ne se concrétiseront jamais. Et puis il faut arrêter de ne pas vouloir s’engager ou de trouver plein de bonnes raisons pour ne pas y aller ! Enfin, osez : si quelque chose ne vous convient pas, changez-le. »

Delphine connaît déjà son prochain projet. Elle veut créer un réseau d’écoles qui utilisent des pédagogies alternatives, un autre projet qui lui tient à cœur, basé sur l’humain et l’inclusion. Et vous, là maintenant, vous n’auriez pas une petite envie de vous engager dans quelque chose qui vous tient à cœur par hasard ?

Pour aller plus loin : https://www.stirrup.fr

* L’incubateur FALC accompagne les projets dans les domaines de la FinTech, AssurTech, LegalTech et Cybersécurité ; il a été lancé en janvier 2018 à Euratechnologies avec l’appui de partenaires métiers sur chacun de ces secteurs.

 

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