
Je ne devrais pas être en week-end. C’est le moment fatidique où les questions tournent dans ma tête. Elles montent sur le manège et roulez jeunesse, c’est parti. Parfois, elles attrapent la queue du Mickey et ça repart pour un tour gratuit.
Nous avons appris vendredi que nous en reprenions pour deux semaines. Peut-être plus en écoutant certains experts. Le gouvernement veut que nous gardions le moral, l’économie ne doit pas s‘effondrer, la confiance doit se maintenir. Alors je me suis mise à la méthode Coué : je vais bien tout va bien, je suis gaie tout me plaît, je ne vois pas pourquoi ça n’irait pas.
Là, paf maintenant, en ce moment, j’aimerais être sur ma plage de Luzéronde à Noirmoutier à marcher seule sur le sable, les yeux dans l’eau, mon rêve était trop beau… Seule mais pas confinée. Quelle différence fais -je entre isolement et confinement ?

Isolement
Je peux décider de me couper du monde ou je subis cette coupure.
Je peux décider de m’isoler du monde en partant faire une retraite, ou en me retirant dans une grotte tel un ermite. Peut-être qu’ainsi je deviendrai une sainte… C’est le moment d’avoir de l’espérance dans les chaussettes et de croire à la mouche qui pète. Le retrait du monde est un moment de prise de recul, de questionnement, reconnexion avec son intériorité. Plus de journaux, plus d’internet, plus de télévision ou radio, je me mets entre parenthèses vis-à-vis du monde extérieur et en intensité maximale vis-à-vis de ma relation avec soi-même.
Si je suis dans un univers carcéral déjà isolant du monde extérieur, je peux être mise à l’isolement. Je suis alors complètement coupée des relations avec les autres détenus. Je suis totalement seule et je ne l’ai pas décidé.
Je peux aussi ressentir de l’isolement car je suis une personne vivant seule, je n’ai pas d’amis et ou pas de travail, ou bien j’ai un travail et c’est la seule opportunité pour moi d’avoir un moment de socialisation. Dans ce cas, je n’ai pas non plus décidé de vivre une vie de solitude.
Je vous partage ce texte d’Hannah Arendt sur les différents modes d’être seul : seul, esseulé puis isolé.
Confinement
Le confinement, lui, n’est pas choisi, il nous est imposé. C’est une mesure sanitaire qui peut être prise à une échelle individuelle parce que je suis malade ; je ne dois pas recevoir de microbes de l’extérieur alors je suis mise sous bulle ou bien je ne dois contaminer personne.
Aujourd’hui, le confinement est collectif. Il nous est imposé par les autorités afin de stopper l’évolution de la pandémie. Restez chez vous pour sauver des vies est le slogan le plus scandé en ce moment. Cet état de privation de liberté est un acte puissant : nos libertés sont restreintes pour sauver des vies et nous libérer de la maladie.
Le confinement nous impose de rester dans un volume restreint et clos alors que l’isolement peut se vivre à l’extérieur, je ne suis pas obligée d’être enfermée pour ressentir de l’isolement. En cette période de confinement, chacun cherche un lieu pour s’isoler. On se répartit les pièces de l’appartement, les étages de la maison lorsqu’on a la chance de le pouvoir. Les règles du vivre-ensemble sont redéfinies, chacun pose ses limites territoriales et temporelles pour retrouver un peu d’intimité et être seul ensemble.
Le confinement peut renforcer le sentiment de solitude et révèle l’intensité de l’isolement. Je pense aux personnes âgées seules chez elles et dont la sortie quotidienne pour aller faire leurs courses est l’occasion de faire un brin de causette. Je pense aux familles qui ont à leur charge quotidienne un enfant handicapé et qui doivent seules s’en occuper ; j’ai entendu un témoignage émouvant d’une maman seule avec ses trois enfants dont un lourdement handicapé qu’elle avait récupéré à temps plein, l’institut qui la soulageait ayant fermé ses portes pendant cette période. Je pense aux enfants en foyer qui rentraient chez eux le week-end et qui aujourd’hui ne peuvent plus avoir de contact avec leur famille. Je pense aux personnes victimes de violences conjugales, familiales qui n’ont pas d’autre choix que de rester avec leur persécuteur.
Le confinement peut par ailleurs être une occasion de renforcer les liens, en prenant le temps de demander plus de nouvelles à ses proches, alors qu’avant, c’était le temps où j’avais tout mon temps. Maintenant, il devient urgent de savoir si tout le monde va bien. Les rendez-vous se sont démultipliés sur les réseaux sociaux. Tout est désormais possible à distance : le travail, les réunions de famille, les dîners entre amis, les soirées jeux de société, le sport, la culture. Je suis épatée par l’inventivité et la créativité de chacun. Depuis que j’applaudis tous les soirs à 20h à ma fenêtre, je mets un visage sur les fenêtres de l’immeuble en face de chez moi. Cela faisait longtemps que j’imaginais faire un grand panneau avec mon numéro de téléphone à mettre à la fenêtre pour demander à mes voisins d’en face de m’appeler pour prendre l’apéro ensemble. Je ne l’ai jamais fait, et maintenant, on se parle !
Le confinement peut enfin être un moment pour repenser la manière dont nous vivons ces liens sociaux, avec quelle intensité, authenticité, quel sens leur donnons-nous, quelle contribution leur attribuons-nous pour construire le monde de demain ? J’avais appelé dans mes voeux à mettre 2020 sous le signe du lien (voir mon article 2020 l’année du lien). Je crois bien que nous y sommes !
Bon j’arrête ici mes réflexions philosophiques parce que je ne sais plus moi-même où j’en suis. Alors comme je ne sais pas combien de temps va durer le confinement, je ferme les yeux et je rêve du temps où je pourrai courir toute nue sur la plage de Luzéronde. Toute nue oui, mais avec ma banane.
