Les copains nous manquent vraiment

Après l’interview de Lancelot, j’ai essayé d’interviewer Jean, son grand frère, lui aussi confiné à la maison, avec nous, pour sa plus grande horreur ! Pour l’instant, il n’est pas décidé. J’espère qu’il se ramollira. L’espoir fait vivre, oui je sais. Alors j’ai proposé à Apolline, ma fille aînée, de se prêter au jeu avec son compagnon, Valérian. Ils sont moins de 30 ans, ils habitent ensemble depuis un an maintenant à Paris, dans un immeuble tout près des Buttes Chaumont. Valérian est ingénieur en informatique dans une société de conseil, et Apolline, responsable de la communication de plusieurs titres de presse. Tous les deux confinés dans 30m2, c’est la grande épreuve du feu ! Je les appelle via WhatsApp et nous faisons l’interview en vidéo. Cela me fait tout drôle, parce qu’il y a 30 ans, avec Laurent, nous habitions dans cette même rue, dans (presque) le même immeuble dans le même type d’appartement. 

Où êtes-vous confinés ?

Apolline – Nous sommes dans notre salon-chambre-salle à manger qui est notre seule pièce. Nous habitons dans une grande pièce, nos cuisine et salle de bain sont séparées. Nous avons trois fenêtres, une dans la cuisine, une dans la grande pièce et une salle de bain. Nous n’avons pas de balcon. 

Que voyez-vous de votre fenêtre ?

Apolline – Nous sommes au premier étage. Nous voyons l’immeuble d’en face. La rue est assez large, et nous avons du soleil entre 6 et 8 heures par jour.

Tous les soirs, nous applaudissons à 20h. Nous voyons les gens en face, mais nous ne les connaissons pas. Ils sont trop loin. Nous nous sourions. Je peux faire coucou à ma tante qui habite deux étages au-dessus. Elle a un balcon, alors en se penchant un peu, on peut se faire coucou. 

Comment ça se passe pour le travail ? 

Apolline – Nous télétravaillons tous les deux. Valérian a investi la table et moi le canapé. Pour le travail, lorsque l’on a des réunions, on est obligés de couper nos micros, parce que sinon tout le monde entend tout

Valérian – Pour l’instant, je n’ai pas moins de travail que d’habitude, car je travaille pour des secteurs d’activité qui continuent de travailler, la banque et les télécoms. Pas de chômage partiel en vue pour moi. Et au niveau de l’organisation du travail, il n’y a pas tellement de changement, car notre directeur favorisait déjà énormément le télétravail. Lui-même le pratique. Certains clients voulaient que j’aille sur place, maintenant, je n’y vais plus. Nous sommes tous solidaires en terme de charge de travail. 

Apolline – Mes journées de travail ne sont pas plus courtes et tout doit être adapté. La filière de la presse subit les conséquences économiques du confinement, nous devons donc mettre en place de nouvelles manières de lire le journal. Par exemple, nous lançons des opérations d’abonnement numérique (et non plus papier). Nous sommes beaucoup plus sollicités par les clients au téléphone ou sur les réseaux sociaux car les gens reçoivent leur journal de façon irrégulière, il faut leur répondre et trouver des solutions. Nous devons adapter toute notre communication pour répondre à cela.

Nous avons une chronique quotidienne de notre rédacteur en chef sur le sujet du confinement à mettre en avant. Une campagne de financement participatif pour le lancement d’un nouveau titre est en cours, il faut tout adapter au nouveau contexte. 

Notre priorité est de continuer à faire imprimer le journal. 

Comment se passe la vie à deux ?

Apolline – On ne s’engueule pas trop. Notre couple va bien. Mais ce qui me manque c’est d’avoir quelqu’un d’autre à qui parler. Il n’y a aucune intimité possible dans notre studio. L’autre est toujours à côté quand on parle. Je n’ai plus de moment seule. 

Valérian – C’est vrai qu’en temps normal, l’appartement est petit, mais ce n’est pas un problème, car nous n’y sommes pas tout le temps. Nous avons l’habitude de voir des amis l’un sans l’autre, là ce n’est plus possible.

Comment vous habillez-vous en ce moment ?

Apolline – Je ne fais pas d’effort d’habillement. Je ne reste pas pour autant en pyjama, mais je m’habille souvent très confortable avec un gros sweat ou un grand pull. Et parfois, je m’habille comme lorsque je vais au travail cool. Cependant quand j’ai des visios, j’essaie d’avoir un haut potable. 

Valérian – Je continue de faire les choses dans le même ordre, cela permet de me motiver. Je me lève, je prends ma douche, je me rase et je m’habille, puis je prends mon petit déjeuner. Cela me met en condition pour le travail. Je suis souvent en tee-shirt en ce moment. Mais hier, j’ai mis une chemise car on voyait des copains en visio et cela me faisait plaisir de mettre un chemise, comme si je sortais les voir. 

Comment ça se passe pour faire la cuisine ?

Apolline –  On fait carrément plus à manger. Il n’était pas rare que le soir nous mangions une planche dans le bar où nous prenions notre bière. Aujourd’hui, nous devons nous faire à manger tous les jours matin, midi et soir. Il faut réfléchir aux repas, faire plus souvent les courses. 

Valérian – Avant, je mangeais la viande ou le poisson le midi. A présent, on rachète plus souvent de la viande et on fait des menus à l’avance ! 

Vous faites du sport ? 

Apolline – Avant je faisais pas de sport et ce n’est pas parce que c’est le confinement que je m’y suis mise. 

Valérian – Je fais du sport dans la cage d’escalier de l’immeuble. Je monte et je descends les 8 étages deux fois par jours. Je mets ma tenue de sport et mes écouteurs et c’est parti. Je n’ai pour l’instant croisé personne !

Est-ce qu’il y a de l’entraide entre voisins ?

Apolline – Nous ne connaissons pas vraiment nos voisins de palier. Et beaucoup de gens sont partis. Dans l’entrée de l’immeuble, il y a des panneaux sur lesquels chacun peut dire ce dont il a besoin ou quel service il peut rendre. Il suffit de laisser ses coordonnées et ça met un peu de lien  entre voisins.

Comment vous faites pour voir les copains ? 

Apolline – Toute est bien organisé.

Le dimanche soir c’est soirée ciné club. On décide du film à regarder. On lance le film en même temps et nous sommes au téléphone simultanément. 

Le mardi, c’est le quizz blind test par internet. Avant c’était dans un bar, maintenant c’est en live Youtube.

En semaine, on se fait des soirées jeux de société en vidéo.

Le samedi soir c’est apéro visio famille puis copains.

Vous avez plus d’apéros qu’avant ? 

Apolline – Force est de constater que nous avons moins d’apéros. Mais ça me manque les apéros avec des vraies personnes. Je fume un peu moins. J’ai la flemme d’aller au tabac car il y a trop de queue. 

Que ressentez-vous pendant ce confinement ?

Apolline – Après plus de 20 jours de confinement, j’ai du mal à imaginer que ça peut encore durer un mois. Le temps commence à être long. On a toujours le même rythme et on est constamment sur des écrans. Les moments où je fais de la cuisine et où je lis sont importants car ils me permettent de sortir la tête des écrans.

Valérian – Je trouve que le confinement a un aspect frustrant. Je suis chez moi et je pourrais me consacrer à une de mes passions qui est le dessin. Mais ce n’est pas possible, car pendant la journée, je travaille.

Apolline – Mon temps libre n’est pas plus important qu’avant le confinement. Il y a en ce moment un vrai marketing du confinement. On nous le présente comme une période qui est l’occasion de se recentrer, prendre soin de soi, de son corps, développer de nouvelles compétences. Je ne peux pas, car je travaille. En plus je ne pense pas que j’irais mieux en faisant du yoga, parce que mon plaisir, c’est de voir mes copains. Je passe sur les injonctions faites aux femmes de ne pas se laisser aller, de s’habiller, se maquiller… Enfin, je pense à tous ceux qui doivent s’occuper en plus de leurs enfants, faire l’école et travailler, ça doit être très compliqué. 

Valérian – Parfois, je me demande à quoi sert ce que je fais dans le contexte actuel. J’ai des clients qui continuent de mettre une pression d’enfer quant à leurs livraisons de développements. Pourquoi, alors que tout semble ralentir et que la priorité n’est pas là ?

Apolline – C’est vrai que c’est une période où les gens se questionnent beaucoup sur le sens de leur travail. 

Quelle est la première chose que vous ferez en sortant du confinement ? 

Apolline – Nous irons au Comité. C’est le bar où nous avons nos habitudes. C’est le dernier endroit où nous étions avant d’être confinés et c’est le premier endroit où nous sortirons. Ensuite, nous irons à Lille revoir tous les copains. 

Que va changer la crise sanitaire selon vous ?

Valérian – Aujourd’hui, les politiques écoutent beaucoup les scientifiques. S’ils sont cohérents, ils écouteront les spécialistes du réchauffement climatique. J’espère que cette crise va permettre une prise de conscience du phénomène de la sur-consommation. 

Apolline – Je pense que nous sommes dans une sorte de pause médiatique au cours de laquelle nous n’étendons parler que du corona virus. À la sortie de la crise, on recommencera à parler des autres sujets qui ont été mis en suspens et qui sont toujours là. 

J’espère que l’on accordera aux soignants les moyens qu’ils réclament depuis longtemps. Nous sommes en train d’expérimenter que ne plus créer de richesses est un problème. J’ai peur qu’à la sortie du confinement tout reparte encore plus vite et plus fort : les entreprises vont devoir reproduire, les gens reconsommer. J’ai repensé mon mode de vie pour moins consommer, je ne veux pas d’injonction à consommer sous prétexte qu’il faut participer à l’effort de redressement de l’économie. Mon utopie, c’est que nous tirions les leçons de cette crise sur le plan écologique, économique, pour inventer un modèle de société plus sobre. Nous sommes en train de créer de la dette, et pourquoi ne pas envisager de l’effacer ? Je voudrais que l’on pense différemment le rapport à l’économie et à la croissance.

Un truc drôle pour terminer ?

Apolline – Notre vie n’est pas méga drôle en ce moment. On fait énormément d’économies et j’ai commencé les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas. C’est mieux de le lire à la maison parce que le livre est trop encombrant pour une lecture dans le métro. 

Valérian, tu arrives à supporter encore Apolline ?

Valérian – Le matin pas toujours. D’habitude je suis parti au bureau quand elle se lève et là je dois la supporter toute la matinée.

Conclusion d’une maman rassurée par sa fille qui ne change pas : ah les coups de gueule d’Apolline, ils me manqueraient presque !

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