Annick Jouglet : tirer vers le haut, sans relâche

Sophie Mayeux – décembre 2012

Annick avait un objectif : ne jamais ressembler à sa mère, le stéréotype de la femme au foyer. Battante et bienveillante, elle a confiance en les personnes dont elle prend soin, son humour décapant lui permet de se sortir des situations les plus dures, de dédramatiser les moments embarrassants, n’hésitant pas à se ridiculiser elle-même.

Annick a reçu une bonne éducation, dans un pensionnat tenu par des soeurs. « Mes parents voulaient faire de moi une femme au foyer. Ce serait ma dote, car il fallait payer les études de mes frères. » Son bac en poche, Annick est « libérée » de la pension, elle se marie. Après la naissance de sa fille, se succèdent les fausses couches et le regard culpabilisant d’une mère qui, elle, a réussi à avoir six enfants. Annick finit par avoir un garçon. C’était son premier combat avec la vie. Elle décide alors de reprendre ses études, elle se bat avec le système éducatif et son mari pour faire accepter son garçon « très vivant ». « J’ai finalement opté pour la pension. Il fallait plus d’argent, alors j’ai cherché du travail. » Grâce à une agence de travail temporaire, Annick enchaîne les petits boulots et réussit un jour à se faire remarquer. « Une personne de l’équipe était absente, j’ai décroché le téléphone. J’ai terminé responsable d’agence. Une réorganisation m’a fait démissionner. On gardait à un poste de responsable un mauvais manager. Mais il restait car était bon commercial. Je n’ai pas supporté. Et quand il n’y a plus de passion, il faut partir. » Annick vend ensuite des cuisines, puis travaille dans un atelier de reprographie. A chaque fois, lorsqu’elle a fait le tour du poste, elle recherche un nouveau défi. C’est qu’une autre mission l’attend.

Dans sa résidence, Annick croise chaque jour une femme et son petit garçon autiste. Elle dépanne cette maman qui travaille et est parfois bien en peine pour faire garder son enfant. « L’autisme est un handicap à part. Les mères qui ont élevé un enfant autiste n’ont reculé devant rien pour qu’il soit comme les autres. Elles sont dépassées, dévastées, et à l’âge adulte, elles les placent en se disant s’il m’arrive quelque chose au moins il sera pris en charge. » Annick s’intéresse à ces enfants différents, drôles et sensibles. Elle réalise tous les manques dans leur prise en charge, perçoit la solitude et la culpabilité que porte une mère qui veut travailler alors qu’elle a un enfant handicapé. Elle obtient un agrément d’assistante maternelle pour un, puis deux enfants. Dans le quartier, on commence à savoir qu’une nourrice accueille les enfants handicapés. Elle fait monter son agrément à quatre enfants. A huit, elle crée une association. « Je me suis battue pour que les enfants soient mieux accueillis à l’école, je me débrouillais pour que les mamans puissent travailler au maximum. J’ai eu jusqu’à 15 enfants. J’ai accueilli deux enfants de la DDASS, depuis leur plus jeune âge. Ils sont toujours chez moi. »

Aujourd’hui Annick habite dans une ferme où elle accueille des grands adolescents et jeunes adultes handicapés. Avec humour et sans relâche, elle les met face à eux-mêmes. Elle les considère comme des personnes à part entière. « Avec les handicapés, on est trop compatissant. Il faut avoir les mêmes exigences et principes d’éducation quel que soit l’enfant. Il faut le tirer vers le haut, c’est pour moi un principe de vie. Ce qui me fait tenir ? Ne jamais faire les choses par pitié ou par charité. » Elle leur transmet sa force et sa confiance en eux. « Je peux faire ce que je fais, car je ne porte pas la culpabilité de les avoir mis au monde.»

Est-ce compliqué aujourd’hui d’être une femme ?

« Non pas du tout. Et je ne voudrais pas être un homme, alors que quand j’étais petite, je pleurais pour être un garçon. Une femme a toujours la ressource d’être féminine. J’ai pris à l’homme le fait de ne rien devoir à personne : je m’assume de A à Z. Ce qui est bien différent de l’image de la femme qu’on m’a enseignée. »

Mèneriez-vous votre action de la même manière si vous étiez un homme ?

« Non je ne crois pas. Enfin comme un homme de ma génération, certainement pas. On me dit souvent « Tu te comportes comme un homme ». Je ne baisserais jamais les bras. Je me remets en question. Parfois je sais que je ne fais pas bien, alors je recherche en moi les ressources qui vont me sortir de l’impasse. J’ai souvent rencontré des hommes qui laissent leurs rêves à la porte. Ils ne sont pas battants. Mais je suis aussi tombée sur des hommes qui m’ont donné envie d’avoir envie. »

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