
Sophie Mayeux – décembre 2012
Marie-Paul explique avec malice que son deuxième prénom ne se termine pas par un « e ». A l’état civil, on a mis un « e », mais elle n’aime pas ça du tout. Elle continue d’écrire toujours ce deuxième prénom sans « e », c’est son combat symbolique. Marie-Paul n’a jamais accepté l’injustice. A l’école déjà, c’était elle qui montait au créneau pour dénoncer une salle de classe trop froide, ou défendre une autre élève. Elle se disait toujours « on ne peut pas se laisser faire ». Elle a tenu parole.
Marie-Paul est originaire des Flandres françaises. L’histoire familiale se mêle à l’histoire de cette région et de ses habitants venant de tous horizons. Ses grands-parents étaient jardiniers à Rosendaël, ils louaient des terres pour cultiver des légumes. Puis la guerre a fait partir les habitants, a détruit pratiquement tout le paysage. Il a fallu tout reconstruire, les gens n’avaient qu’une chose en tête, revenir chez eux. « On n’avait plus rien, plus d’habits, plus de papier pour l’école. Mes parents faisaient partie de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. Quand ils sont revenus, voyant que tout manquait, ils se sont réunis avec d’autres pour imaginer ce qu’ils pouvaient faire ensemble. » Les parents de Marie-Paul créent l’Association Populaire Familiale (APF, devenue dans les années 90 le CLCV, association nationale de défense des consommateurs et usagers). Les réunions se déroulaient chez eux, dans la pièce à vivre où les familles pouvaient se réunir avec les enfants.
Quand elle se marie en 1970, Marie-Paul s’installe dans une ville en mutation, Grande-Synthe accueillant des familles d’ouvriers venus d’Afrique du Nord et d’Europe. « Nous avons été logés dans un bloc d’immeubles en construction ; il n’y avait pas de nom sur les rues, pas de bus, pas d’écoles pour les enfants. Alors j’ai rejoint l’APF. Il fallait faire quelque chose. On avait tout simplement envie de vivre. »
Marie-Paul se bat avec l’association pour faire passer en 1972 la première loi qui encadre le démarchage à domicile, puis celles de 1989 sur le démarchage en général et de 1992 contre l’abus de faiblesse. Elle se bat contre les statistiques et les moyennes nationales pour que les écoles sortent de terre. Elle démontre l’importance de conserver une polyclinique, se tient au courant des risques nucléaires et des mesures prises en cas de catastrophe. « Je ne suis pas une experte scientifique, je veux simplement savoir comment l’évacuation des habitants sera prise en charge, comment on informera une maman de la localisation de son enfant évacué de l’école, comment les familles seront rapprochées… Toutes ces petites questions auxquelles on ne pense pas forcément dans les hautes sphères, mais qui sont le quotidien des gens. »
Marie-Paul est une combattante du quotidien, une militante ouvrière. Elle vient de recevoir le trophée de la ville pour mon engagement associatif dans Grande-Synthe et au-delà.
Dans votre domaine d’action, est-ce difficile d’être une femme ?
« Au début, j’ai souvent mené des actions où j’étais la seule femme. On me demandait « Qui va garder les enfants ? » Dans beaucoup d’endroits, les femmes étaient les assistantes, elles appuyaient sur le clavier de l’ordinateur pour faire avancer les diapositives du powerpoint. Les hommes faisaient semblant de ne pas me comprendre, car je parlais fort dunkerquois. Alors je me suis amusée à les prendre à leur propre jeu. Je leur demandais de m’expliquer les abréviations et termes anglo-saxons, je me suis rendue compte qu’ils n’en savaient finalement pas plus que moi. J’ai commencé à me présenter en tant que Présidente du CLCV, et non plus simplement en tant que Madame Hocquet. Là, j’ai vu leurs yeux s’écarquiller : Présidente ! »
Est-ce compliqué aujourd’hui d’être une femme ?
« Oui, c’est compliqué quand on est dans un engagement comme le mien. C’est toujours difficile d’être une femme aujourd’hui, lorsqu’elle prend des responsabilités. Je pense que la gestion de la vie quotidienne devrait être enseignée aux garçons comme aux filles. Tous doivent savoir faire la lessive, tenir une maison, s’occuper des enfants, pour arrêter d’entendre dire à une femme « Qui va garder les enfants ? » »
Mèneriez-vous votre action de la même manière si vous étiez un homme ?
« Oui, je mènerais la même action. Mais dans les formes, quand on est une femme, il faut taper plus du poing sur la table. C’est très difficile d’être admise comme leader. Quand je me décourage, je pense à des femmes comme Aung San Suu Kyi. Je pense à la solidarité féminine internationale qui existe entre toutes les femmes qui se battent pour la liberté, pour un quotidien meilleur, et ça me remonte le moral. »