
Sophie Mayeux – décembre 2012
Annie a toujours taillé sa route de manière déterminée même si elle aime à dire que sa vie est un hasard. C’est qu’elle sait saisir ou créer les opportunités lorsqu’elles se présentent. Annie se pose peu de questions, sauf les essentielles.
Elle vient d’un milieu où il n’était pas coutume de faire des études, mais son père l’a toujours poussée, d’abord jusqu’au Bac, puis dans des études supérieures qui se sont présentées à elle par hasard. Sa voisine de classe a décidé de faire un IUT en Techniques de Commercialisation, cela semblait intéressant, alors Annie s’est inscrite. A l’issue de son Master, elle fait un stage dans une enseigne de la grande distribution et va voir le directeur du magasin : il l’embauche tout de suite. Dans les années 80, son patron a besoin d’une équipe solide pour changer les mentalités du Groupe, elle fait partie de l’aventure.
Au début des années 90, Annie, acharnée de travail, décide de donner un autre sens à sa vie. « Je n’avais plus rien en dehors du travail, plus de vie de famille, plus de vie sociale, j’étais irritable. Je voulais tout arrêter. J’ai finalement décidé que ma vie ce n’était plus ça. » Annie se repose, va à l’ANPE où on lui propose un stage au titre enchanteur, « formation pour trouver le métier de ses rêves. » Le formateur détecte en Annie un intérêt certain pour l’enseignement et la formation. La graine est semée. Par hasard, elle rencontre une personne qui cherche un maître auxiliaire. Annie obtient tout de suite son premier poste, passe son Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement Technique ( CAPET ) en un temps record : un an ! Elle devient professeure en BTS, et choisit un lycée à Calais, par attrait de la mer.
Annie a trouvé sa voie, elle aime enseigner. « Je m’enrichis de tout, des contacts, des élèves, des entreprises que je rencontre. J’aime transmettre mon savoir, mettre à disposition les compétences que j’ai acquises dans mes précédentes expériences professionnelles. » Annie n’est pas une enseignante inaccessible. « Certains étudiants sont devenus des amis. Leur formation terminée, je ne coupe pas la relation. Je suis toujours présente pour un conseil, un accompagnement. » Elle cherche des méthodes pour un apprentissage pragmatique et opérationnel que les étudiants pourront valoriser lors de leur recherche d’emploi. C’est ainsi qu’avec une collègue, elle a l’idée de créer dans le cadre du Téléthon, une Course de l’espoir qui mobilise les écoles primaires de la ville. Pendant une dizaine d’années, elle a ainsi piloté une véritable entreprise qui a collecté près de deux cents mille euros. Chaque année, sans relâche, Annie a réussi à mobiliser ses élèves. L’organisation de cet événement leur permettait de mettre en oeuvre toutes les techniques de vente, de prospection et de gestion apprises à l’école. Dans votre domaine professionnel, est-ce difficile d’être une femme ? « Aujourd’hui, non. Dans l’enseignement, j’ai même plus de collègues femmes qu’hommes. En revanche, dans mon précédent métier, c’était bien plus complexe. Etre la première directrice de magasin de mon enseigne n’était pas simple tous les jours. Les hommes avaient du mal à accepter d’être dirigés par une femme. Un chef, ce devait être un homme. Un jour, j’ai mis des chaussures roses. Un chef en chaussures roses, ce n’était pas possible ! J’ai dû faire face à beaucoup de conflits relationnels. Après avoir essayé les techniques classiques, finalement, je m’en sortais toujours grâce à des compétences féminines : l’empathie, l’écoute, la rondeur du discours. »
Est-ce compliqué aujourd’hui d’être une femme ?
« Aujourd’hui, en France, non. Dans d’autres pays, d’autres cultures, c’est plus compliqué. Ma mère m’avait dit qu’elle n’avait pas pu faire le métier dont elle rêvait. Elle voulait travailler dans un laboratoire de recherche. Mais mes grands-parents étaient agriculteurs. Pour eux, la femme devait être une femme d’intérieur.
Dans certains milieux, comme celui de l’entreprise, c’est difficile de réussir quand on est une femme. Votre mérite est reconnu parce que vous êtes une femme, parce que vous utilisez « l’arme ultime » de la séduction. Nous les femmes, nous avons cette carte en plus, cet atout que les hommes n’ont pas. Mais cela me perturbe d’être obligée d’utiliser parfois cette arme, de ne pas être reconnue seulement pour mes compétences.»
Mèneriez-vous votre action de la même manière si vous étiez un homme ?
« Je pense que je ferais la même chose, de la même manière. On a une sensibilité différente, mais c’est plutôt lié à notre éducation, à notre culture.»