
Sophie Mayeux – décembre 2012
Christiane est une femme en colère. Cela ne se voit pas, souriante, elle aime la vie. Elle sait apporter du réconfort, trouver les mots justes pour donner l’envie de continuer à des personnes qui n’ont plus rien. « J’ai voulu arrêter, car notre local était trop petit. Nous ne pouvions plus accueillir décemment les gens. Nous avons réussi à obtenir un lieu plus grand, heureusement. Cependant je ne suis pas totalement satisfaite, car ce que nous faisons est une goutte d’eau, un pansement. » Mais Christiane continue, cela ne pourrait être autrement.
Christiane travaillait à l’hôpital. Elle voulait être infirmière. A l’époque, elle assurait les postes des trois-huit. Son mari avait un salon de coiffure. Lorsqu’elle rentrait de son travail, Christiane aidait au salon. Elle est finalement devenue coiffeuse. Il y a 15 ans, elle bénéficie d’un cours de morpho-coiffure. Cette approche la captive. Curieuse de nature, elle se renseigne et trouve sur Lille une école de morpho-psychologie. Elle obtient son diplôme et décide qu’elle en fera quelque chose. Christiane retrouve son salon. Elle aime sincèrement ce métier de coiffeuse : elle prend soin de ses clientes, leur parle, les chouchoute. Elle leur donne un peu de bien-être, car la vie n’est pas toujours simple dans le quartier où elle exerce. Une maison jouxte son salon, on y entend souvent du bruit, des cris et des pleurs. « Cela m’a toujours fait mal de voir des gens malheureux. Je ne supporte pas les pleurs d’enfant, c’est à chaque fois une souffrance. » Un jour, elle n’en peut plus d’imaginer le mal-être de ces enfants, et signale les incidents. Les parents sont écartés du foyer, et les enfants livrés à eux-mêmes dans cette maison où il n’y avait qu’un seul chauffage électrique, où les fenêtres des chambres n’avaient plus de carreaux, où la salle de bains était dehors et où les enfants dormaient avec leur manteau. Elle décide de les prendre en charge, leur donner à manger, leur offrir un toit décent, subvenir à l’urgence. Suite à cet événement, l’association « Le Silence des Maux » est née, spontanément, comme une évidence. Le but : ouvrir des portes à des personnes qui ne peuvent ou n’osent pas demander de l’aide.
Christiane pare ainsi au plus urgent depuis une dizaine d’années. A sa mesure, elle tente avec ses modestes moyens d’endiguer la progression de la précarité dans sa ville. Elle donne un ballon d’oxygène à des personnes qui, sans cela, pourraient basculer à tout moment dans la déchéance. « C’est notre soeur Teresa », disent les femmes de l’association. « Au début, nous donnions à manger. Nous stockions des provisions dans nos caves personnelles. Nous pouvions partir à trois ou quatre heures du matin pour aider quelqu’un, une famille en détresse. Le rythme était dur. Mon mari n’était pas rassuré de me voir partir toute seule en pleine nuit. Aujourd’hui que la précarité empire, nous sommes devenus malheureusement nécessaires. Les assistantes sociales nous appellent pour faire un chèque à EDF afin d’empêcher une coupure d’électricité, nous avons même réussi à rénover un appartement d’accueil d’urgence dont le commissaire de police a les clefs, au cas où il devrait procéder à une expulsion. Nous sommes les seuls à être là 365 jours par an. »
Christiane est entrée en religion. Elle s’insurge contre les situations injustes. Mais elle sait aussi se préserver et prendre du recul, car pour faire du bien, il faut aller bien. « Je ne suis pas là pour tout faire. Je donne des clés. C’est à chacun de prendre et de réfléchir. » Christiane aime sincèrement les gens. Elle est libre et forte. Disponible, sa gentillesse panse déjà un grand nombre de plaies.
Est-ce compliqué aujourd’hui d’être une femme ?
« J’ai trouvé mon épanouissement, je me sens bien dans ce rôle de femme. On a la liberté que l’on veut bien se donner. Ma mère, par exemple, n’a jamais voulu être indépendante. La femme d’aujourd’hui a de la chance, plus de liberté. Ce n’est pas compliqué d’être une femme, il suffit de le vouloir. On devient une femme.
Par rapport à mon action en particulier, c’est tout de même parfois compliqué, car il faut l’assumer. Avant je n’osais pas râler devant les institutionnels par exemple, je m’écrasais. Maintenant, je râle, je ne peux pas laisser des gens dehors. »
Mèneriez-vous votre action de la même manière si vous étiez un homme ?
« Je me sens parfois dans le rôle d’un homme. Dans l’association, je déménage, je livre, je tapisse… Un homme n’aurait pas ma détermination. Aujourd’hui, il n’y a pas d’hommes dans l’équipe d’action de l’association. Ils ne restent pas. »