
Binta aime son quartier du Petit Maroc à Lille. Au fur et à mesure des fermetures d’usines, elle constate qu’il est en train de devenir un îlot oublié qui se meure à petit feu. Binta est déterminée à faire revivre son quartier pour les habitants mais aussi pour lui donner toute sa place au sein de la ville.
J’ai connu Binta grâce à Croisons le Faire. Croisons le Faire est une aventure dans laquelle j’ai embarqué à l’été 2020, une communauté où je peux m’investir pour construire le monde d’après. Parce qu’il ne suffit d’en parler de ce monde d’après, il faut bien se remonter les manches pour le faire émerger un jour. Croisons le Faire est une grande aventure humaine : on rencontre des personnes que l’on n’aurait jamais croisées en dehors de ce contexte et on expérimente une gouvernance collective. Croisons le Faire recense les solutions locales à impact positif pour les déployer ensuite sur les territoires où il y a des besoins et accompagne concrètement des porteurs de projet pour booster leur solution. Je suis animatrice pour le bassin de Lille et avec les autres animateurs, nous maillons, relions, nous nous grattons la tête, phosphorons et trouvons des solutions ! Je suis heureuse de cheminer aux côtés de Binta Top dans son aventure de La Kit’chinette Citoyenne, un tiers lieu solidaire, inclusif et éco-responsable. J’ai rencontré une femme à l’envie incroyable. Binta est fougueuse, elle avance comme un cheval au galop, Binta est joyeuse, son rire retentit à chaque fin de phrase, Binta regorge d’empathie, elle écoute et prend soin des autres, Binta ne se résigne jamais, pour elle, rien n’est impossible. Lisez son histoire, et pour toutes ces raisons, vous serez aussi conquis par Binta.
Le Petit Maroc : un quartier méconnu où il fait bon vivre
Vous connaissez le Petit Maroc ? C’est un quartier dont on connaît parfois le nom, mais qui sait précisément le situer, qui en connaît l’histoire ? On en aperçoit les tours derrière BTwin Village lorsque l’on arrive à Lille par l’autoroute A1. Ce quartier coincé entre une bretelle de route urbaine et la voie de chemin de fer puise ses origines pendant la première guerre mondiale. Un régiment de tirailleurs Marocains y avaient en effet été installé. A la fin de la guerre, certains sont restés, faisant venir leur famille. Au temps des Trente Glorieuses, les travailleurs étrangers se sont établis dans le quartier. Portugais, Marocains, Algériens, Turcs et Sénégalais travaillaient dans les usines ou sur les chantiers proches. Dans les années 1950, en pleine crise du logement, l’abbé Pierre a fait construire des maisonnettes pour les ouvriers du Petit Maroc.
Aujourd’hui, les dernières usines, Fives-Cail-Babcock et Seita, ont fermé, le chômage touche désormais plus de 20 % de la population active du quartier et près de 30 % des jeunes. Plus du tiers des habitants bénéficie des minima sociaux. C’est aussi un quartier qui souffre d’une mauvaise image : dans l’imaginaire collectif, là où il y a des tours, il y a des délinquants et des dealers. Pourtant, le quartier est calme, trop calme même, il est devenu un quartier dortoir, où il manque des choses essentielles comme une petite épicerie ou une boulangerie pour éviter de prendre sa voiture pour tous les achats du quotidien.
Mais Binta aime son quartier et veut le faire revivre. Lorsque je suis allée pour la première fois chez elle pour la rencontrer, j’ai poussé la porte en bois de son jardin, j’ai découvert son potager qu’elle entretient avec soin. Elle est heureuse d’habiter dans cette maison au calme.
« C’est là où mes deux filles sont nées. Il fait bon vivre dans mon quartier même si nous sommes un peu ex-centrés. Nous sommes à Lille sans y être vraiment, et il n’y a qu’une seule entrée et qu’une seule sortie. Si tu n’habites pas là, si tu ne travailles pas là, tu ne viens pas au Petit Maroc. Il manque un lieu où l’on pourrait se retrouver entre habitants et inviter les gens et leur faire découvrir ce quartier caractérisé par la mixité et la solidarité. »Et c’est vrai qu’au Petit Maroc, chacun veille sur l’autre. Derrière chez Binta habite Georgette, la doyenne du quartier chouchoutée par tout le monde. Les jeunes répondent présents lorsque l’on a besoin d’eux. Un jour le feu s’est déclenché dans la cuisine de Binta. Son voisin est monté sur le toit pour éteindre le feu par la cheminée en attendant l’arrivée des pompiers.
Binta, une femme curieuse des autres
Binta Top a 38 ans et est originaire de la République de Guinée. Elle est arrivée en France en 2008 dans le cadre d’une demande d’asile qu’elle a obtenue en 2011. Binta a fait toute sa première partie de carrière professionnelle dans le domaine du social. Parlant six langues vernaculaires, elle a été bénévole pour l’association Aïda et a travaillé pour une entreprise de traduction qui agit auprès des enfants qui demandent la minorité en France. Elle a ensuite réalisé un service civique chez Unicité puis passé un brevet professionnel jeunesse animation et social. Binta a été travailleuse sociale, animatrice socio-culturelle, au sein de son quartier du Petit Maroc pendant 3 ans.
Binta a de multiples talents. Sportive, elle a pratiqué le basket pendant une dizaine d’années. Elle aime cuisiner et voyager pour aller à la rencontre des gens en toute simplicité. « J’aime la mer et particulièrement la baie de Somme. Un jour en me promenant avec mes filles dans la campagne, j’ai repéré un champ dans lequel se récoltaient des pommes de terre. Je suis allée montrer à mes filles que ces légumes ne venaient pas du super marché et nous avons discuté avec l’agriculteur. Je viens d’acquérir avec son mari un camping car, le véhicule de rêve pour découvrir la France en famille et partir à la découverte des gens, des traditions culinaires régionales. Cet été, normalement, nous partons pour notre tour de France. »
Faire revivre son quartier avec La Kitchinette Citoyenne
Binta qui aime profondément les gens veut à tout prix faire revivre son quartier. Elle ne peut pas se résoudre à rester sans rien faire à regarder la vie quitter son quartier. Alors elle est partie à la rencontre des habitants pour leur présenter son projet de Kitchintette Citoyenne.
C’est un projet qui porte les valeurs du quartier, solidarité, partage, égalité, diversité, respect. Il a pour objectif de retisser un lien social durable. Binta est très attachée aux valeurs de l’économie sociale et solidaire, respect de l’environnement et de chacun dans sa différence ; on les retrouve très présentes dans le projet. Elle imagine un tiers-lieu, en plein coeur du Petit Maroc, où l’on trouvera une multitude de services tels que par exemple une cantine solidaire, une épicerie vrac, une ressourcerie. Les femmes du quartier pourront s’y retrouver pour faire à manger et ainsi faire découvrir une de leurs recettes pour un tour du monde gourmand. La cuisine sera réalisée à partir de produits issus de l’agriculture biologique du circuit local. Les plats pourront être vendus aux habitants ou livrés par les jeunes aux collaborateurs de BTwin pour leurs repas du midi. Binta a identifié les problématiques des familles du quartier et pour y répondre a prévu d’organiser des ateliers de parentalité, de sensibilisation à l’obésité et le bien manger, au zéro déchet. Les assistantes maternelles y trouveront un lieu pour se retrouver, échanger et faire jouer les enfants ensemble, les personnes âgées pourront faire du sport, lire ou passer du temps ensemble. Les jeunes du quartier pourront animer des ateliers ou bien encore réparer des objets. Binta a déjà noué des partenariats avec l’hôpital Saint Vincent de Paul à Lille, l’Ile de solidarité ou bien encore BTwin Village.

Mais pour que ce projet se réalise, Binta a besoin d’un local au sein de son quartier, local qu’elle n’a toujours pas trouvé. Alors comme Binta n’est pas du genre à attendre sans rien faire, elle mène en parallèle un projet d’ouverture d’une cantine africaine, Waka Main, ce qui signifie « comme chez nous » en peulh, sa langue maternelle. « A lille, lorsque l’on parle d’Afrique, on fait référence à seulement 4 pays, le Sénégal, le Bénin-Togo, la côte d’Ivoire et le Congo. Mais l’Afrique c’est 54 pays ! La communauté guinéenne est très nombreuse dans la capitale du Nord. Mais elle reste en retrait. Je vais la faire rayonner grâce à ma cuisine. » Les ingrédients seront produits localement et les personnes en situation de handicap seront majoritairement employées. Binta travaille déjà avec le collectif paysan Le Jardin des Loufs à Doulieu, près d’Hazebrouck qui cultive des légumes africains : oseille, aubergines de Guinée, bombo, fonio, mil, piment, hibiscus… des noms qui changent de la pomme de terre et de l’endive. Pour ce projet, Binta est incubée au Baluchon, programme d’accompagnement dédié aux métiers de bouche, implanté à Lille dans le quartier de Fives, et a intégré le dispositif Réalise tes rêves, programme d’accompagnement à la création d’activités durables, inclusives et éco-responsables sur chaque territoire.
Aujourd’hui, Binta est heureuse à Lille. Elle est fière d’avoir été sélectionnée par le Refugee Food Festival qui se teindra au mois de juin et d’apparaître au programme lillois pour deux dates. Elle est toujours à la recherche d’un local pour son projet de tiers-lieu solidaire, et nous faisons de notre mieux pour l’aider avec Croisons le Faire.
Dans quelle lettre de CRAZY! Binta Top se retrouve ?
« Souvent les gens me disent que je suis timbrée, que je suis crazy. C’est juste que je ne mets pas de barrière, je fonce. Quand tu fais le choix de quitter ton pays, tu ne le fais pas de bon coeur. Lorsque je suis arrivée à Châtelet, à Paris, en plein mois de décembre, il faisait tellement froid, c’était dur. J’ai vécu des moments difficiles, mais j’ai toujours réussi à m’en sortir. Quand on veut quelque chose, que l’on travaille dur, on peut l’obtenir, mais il faut batailler ferme. Alors pour l’amour de mes deux filles, je n’ai pas le droit d’être fatiguée, je vais de l’avant . »