
Xavier a créé La Pioche parce qu’il était en colère. Pour que manger, s’habiller, se loger soit accessible à tout être humain, sans restriction et surtout sans avoir à quémander. Cette association de l’ESS prouve qu’il est possible de générer dans ce secteur économique de l’emploi durable, et de ne laisser personne sur le bord du chemin en ces temps incertains de transition. Rencontre avec un homme combatif et engagé qui incarne les valeurs de la solidarité et du partage.
Je vous rappelle le contexte des « Chroniques du monde d’après ». C’est une rubrique du que j’ai démarrée à la sortie du premier confinement. On en avait tellement parlé de construire ce fameux monde d’après, mais je trouvais que les solutions qui étaient mises en oeuvre l’étaient finalement pour l’instant à une échelle très individuelle. On déménageait à la campagne pour se reconnecter à la nature, on changeait de travail ou bien carrément de vie pour retrouver un sens que l’on avait perdu. Mais au niveau collectif, que faire ? Comment s’attaquer à un système tout entier, comment faire bouger les entreprises, la société, la politique ? Je me suis rendue compte qu’en observant autour de soi avec attention, des expériences sont menées par des citoyens, habitants, salariés, entrepreneurs engagés et qu’elles font leurs preuves ! C’est ainsi que j’ai eu envie de mettre un coup de projecteur sur ces actions pour en tirer toute l’inspiration et en décliner les enseignements dans nos différents écosystèmes.
Voici ce que j’ai exploré à ce jour :
- La permaculture comme solution pour construire une nouvelle société reconnectée au vivant ;
- Le collectif citoyen comme élément fertilisant de l’empowerment de l’individu et revitalisant de la politique d’une commune ;
- Le système de pilotage d’un nouveau genre comme élément d’engagement de l’entreprise vers la responsabilité sociétale ;
- La finance responsable comme élément régénérant d’un territoire.
Le portrait de Xavier vient s’insérer dans cette exploration pour démontrer que l’Economie Sociale et solidaire (ESS) n’est plus un concept de doux rêveurs utopistes, mais une réalité qui crée des emplois durables et a un rôle a jouer dans la transition vers de nouveaux modèles économiques.
En 2006, Xavier crée l’association La Pioche, pour que chaque être humain puisse vivre debout, et ne jamais ressentir la honte de demander à manger. Il tend la main aux déclassés et réussit à leur redonner confiance et dignité en leur procurant un travail durable. Xavier nous livre avec sincérité la précarité vécue pendant sa jeunesse, la manière dont il s’est construit, contre ceux qui avaient décidé qu’il serait un bon à rien, et en colère contre le système qui décrète bien trop souvent que la pauvreté est une fatalité. Xavier prouve chaque jour que des solutions existent pour endiguer ce fléau.
Xavier, d’où es-tu ?
J’ai grandi à Loos-Lez-Lille, dans un HLM, avec ma soeur et ma mère. Cette dernière avait arrêté ses études en 5ème année de médecine pour s’occuper de moi. J’ai toujours trouvé cela très injuste. Nous n’avions pas d’argent et nous étions dépendants d’aides pour manger, nous habiller et nous loger.
Ma mère m’avait inscrit dans une école privée à Lille pour me préserver de mon quartier. Mais là-bas, je constatais le fossé entre les autres écoliers et moi. J’avais un appartement avec une seule chambre que nous nous partagions à trois, ils avaient des maisons avec jardin, partaient en vacances et se permettaient de critiquer la cantine, alors que pour moi, c’était un véritable restaurant 3 étoiles. Je me disais que je ferais un métier dans lequel je gagnerais suffisamment d’argent afin de ne plus jamais rien devoir demander à personne.
En troisième, j’ai dû réfléchir à un métier. J’ai consulté les fiches du centre d’orientation et trouvé qu’analyste programmeur était « le » métier du futur. Mais mes professeurs en avaient décidé autrement : ils estimaient que je n’avais pas d’assez bonnes notes et que ce n’était pas un métier pour moi. Alors je me suis résigné. Je me suis retrouvé en BEP secrétariat-comptabilité au lycée d’à côté. Le directeur qui avait détecté mon potentiel m’a encouragé à plutôt m’orienter vers une seconde générale. Mais dans ma tête, j’étais toujours un imposteur, quelqu’un qui n’avait pas sa place ici. C’est pour cela que j’ai travaillé encore plus.
A la fin de la seconde j’ai décidé d’aller vers le métier d’expert comptable, c’était pour moi un moyen de bien gagner ma vie. J’allais commencer tout en bas de l’échelle et tant que l’on ne me dirait pas stop, je continuerais de grimper. J’ai eu mon bac avec les meilleures notes du lycée. J’ai enchaîné avec un BTS, puis un double cursus droit des affaires et audit. Et je suis devenu expert comptable.
Quel a été ton parcours avant de fonder la Pioche ?
J’ai d’abord travaillé dans un cabinet d’expertise comptable, mais je ne trouvais aucun sens aux sujets d’optimisation fiscale. Je suis ensuite parti dans une grande entreprise internationale comme contrôleur financier. Ça n’allait pas du tout mieux sur le plan du sens au travail. Je me sentais comme un extra-terrestre. Je me suis accroché : je n’avais quand même pas fait 6 ans d’études pour rien ! Je suis devenu chef comptable dans une PME. Mon responsable a démissionné très rapidement après mon arrivée, ce qui a fortement déstabilisé l’équipe et rendu inquiet beaucoup de personnes. Je ne pouvais pas abandonner mes collaborateurs. J’ai décidé de rester le temps que l’entreprise me trouve un remplaçant. Cet événement a été fondateur, car c’était la première fois que je réalisais que le travail pouvait avoir un objectif centré sur l’humain et non sur la performance économique.
J’ai commencé à réfléchir à une autre forme de travail. On était en 2006. J’ai saisi « économie sociale et solidaire » dans mon navigateur internet et tout un champ jusqu’alors inconnu de métiers s’est ouvert à moi. J’ai découvert les épiceries solidaires et je me suis dit que cela nous aurait bien aidés lorsque j’étais enfant. J’ai quitté mon entreprise en juin 2006. Je me souviens que c’était la première fois que je prenais ma vie en main.
J’ai travaillé pendant deux ans sur un premier projet à Lille Sud qui n’a jamais abouti mais avec lequel j’ai beaucoup appris. J’ai réussi à obtenir une subvention européenne de 23000 euros. Le 20 janvier 2009 j’ai ouvert à Loos ma première épicerie solidaire, c’était le jour de l’investiture de Barack Obama, c’était un bon signe.
Quel a été l’événement déclencheur qui t’a amené à créer La Pioche ?
J’ai créé La Pioche parce que j’étais en colère. Je pense que l’on est heureux à partir de l’instant où l’on est libre de faire ses propres choix. Et lorsque l’argent manque, on n’est pas libre. On est dépendant de l’aide pour pourvoir à tous les besoins fondamentaux de la vie. Lorsque j’accompagnais ma mère pour demander de l’aide, c’était comme si nous devions à chaque fois passer un examen pour prouver que nous méritions cette aide. C’était injuste et insupportable.
Rdv le 21 juillet pour lire la suite du portrait ! Crédit Photo : David Buisine
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