
Cyril aime poser des questions. Échanger, débattre, comprendre. Mais comme beaucoup d’entre nous, il a le sentiment que ce sont souvent les titres chocs et les sujets qui divisent qui font la une de l’information. De quoi penser que tout va mal. Vraiment ?
Son intuition est autre, et pour la vérifier il décide de partir un an faire le tour du monde, avec une liste de 20 questions en tête à poser à un maximum de personnes. Le projet 20 questions to the world est né. Du nomade mongol au businessman new yorkais, les 25 000 réponses qu’il a obtenues à ce jour démontrent que ce qui nous relie, en tant qu’humains, est beaucoup plus important que ce qui nous différencie.
Je découvre l’histoire de Cyril en lisant son livre « Nous, humains ! » publié aux Éditions Alisio. Il y raconte l’enquête inédite qu’il a menée en allant poser les mêmes questions à des personnes dans le monde entier. Pour beCRAZY!, ce reporter de l’humain a accepté de changer de rôle en se prêtant à son tour au jeu de l’interview.
A l’origine du projet, une envie de comprendre le monde
Rien ne prédestinait Cyril à lancer un projet de recherche sur l’être humain. Après une prépa et une école de commerce, il monte une première entreprise de lutte contre le gaspillage alimentaire, puis travaille quelques années dans le conseil en stratégie et dans l’industrie musicale. Mais aucune de ces expériences professionnelles ne le satisfait entièrement, et au moment de réfléchir à la suite, il réalise que c’est le moment de répondre à ce désir qu’il a depuis longtemps : celui de mieux comprendre le monde complexe dans lequel nous vivons.
Cyril a alors 28 ans, et un sentiment de grande confusion l’envahit à chaque fois qu’il regarde ou lit les informations : « J’avais l’impression que ça devenait de plus en plus difficile de se faire une opinion réfléchie sur tous les thèmes qui titraient l’actualité, toujours sur un temps très court ».
Pour avoir une vision plus objective des choses, il décide d’aller chercher lui-même la somme des subjectivités, et de partir un an en tour du monde pour poser des questions ouvertes à des personnes aux profils sociaux variés.
« Quand tout parait compliqué, qu’on ne sait plus bien distinguer le vrai du faux, je pense qu’il faut revenir à des choses simples, essentielles. C’est le cœur de mon projet 20 questions to the world. Comment mieux comprendre le monde ? En comprenant les humains. Comment comprendre les humains ? En allant leur poser des questions », résume-t-il.
Cyril définit les thèmes fondamentaux qu’il souhaite aborder : le futur, l’éducation, le bonheur, la religion, la culture, les rêves, les besoins. Et établit une liste de 20 questions.
Des questions telles que :
- Que vouliez-vous faire quand vous étiez enfant ?
- De quoi avez-vous peur ?
- Quel est votre rêve ?
- Avec qui aimeriez-vous boire un café ?
- Fermez les yeux, vous êtes en 2100. Que voyez-vous ?
Un an de voyage pour poser les mêmes 20 questions à un maximum de personnes autour du monde
En Janvier 2017, Cyril démarre ce grand voyage. Ça sera l’Espagne, l’Angleterre, la Turquie, l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, les États Unis, La Russie, La Mongolie, la Birmanie, l’Inde, l’Iran, l’Éthiopie…
Pour trouver des personnes à interviewer, il poste 15 jours avant son arrivée dans un pays un message sur les réseaux sociaux pour expliquer le concept de son projet, et sa recherche de multiples profils : des entrepreneurs, des ouvriers, des politiques, des paysans, des étudiants, des retraités, des artistes… A chaque fois, cette méthode lui permet d’être mis en relation avec un panel très divers de la population locale. Souvent, des interprètes bénévoles excités par le projet l’accompagnent.
En un an, Cyril réalise 450 interviews dans 18 pays. Et collecte ainsi près de 11 000 réponses à son questionnaire.

Toutes les interviews reprennent le même format, mais chacune est une surprise, une rencontre unique. On imagine facilement à quel point ce voyage a dû être d’une rare intensité humaine. A ma question « Comment t’es-tu senti pendant ton tour du monde ? » Cyril répond du tac au tac : « Incroyablement bien. Toutes les étoiles se sont alignées, et j’avais la sensation d’être pile là où je devais être ».
Il se remémore un jour, au bout de 6 mois de voyage, où il était aux États Unis. « L’image est un peu cliché : je me trouvais dans une rocking chair, sur le parvis d’une maison à Dallas. Je venais d’enchainer des interviews d’une grande profondeur, d’un manutentionnaire d’usine latino et d’étudiants afro-américains. Et j’ai ressenti une grande émotion, car je prenais subitement conscience de la chance que j’avais d’être là, à découvrir de cette manière notre planète et ses habitants… »


Des tendances qui nous rapprochent
Les résultats de cette enquête sont riches. Sans dévoiler le contenu du livre de Cyril, qui mérite d’être lu, je ne résiste pas à l’envie de vous en donner un petit avant-goût.
- J’ai été marquée par le fait qu’à la question « Si vous pouviez faire enseigner quelque chose dans toutes les écoles du monde, qu’est-ce que ce serait ? », la grande majorité des personnes n’aient pas parlé d’enseignements traditionnels comme les mathématiques ou l’histoire, mais de matières comportementales, émotionnelles. L’empathie, la tolérance, et la connaissance de soi en tête de ligne.
- Je retiens aussi que la peur du futur est un sentiment partagé par tous les humains. La question « Fermez les yeux, vous êtes en 2100. Que voyez-vous ? » a majoritairement suscité de l’inquiétude. Des personnes de toutes nationalités et de tous niveaux sociaux ont répondu des choses telles que « En 2100, nous aurons détruit la nature ». Ou encore « Il n’y aura plus de relations humaines car tout le monde passera son temps derrière un écran ». Parmi les raisons qui justifient cette crainte, le progrès technique apparait comme ce qui fait le plus peur.


L’aventure continue !
Le projet ne s’est pas arrêté à la fin de ce tour du monde. A son retour en France, Cyril continue à diffuser le message d’unité qui ressort des interviews, et propose à d’autres voyageurs de reprendre le flambeau. Depuis, plus de 40 personnes sont à leur tour parties poser des questions à travers le monde. Et le concept a été décliné, en 20 questions to children ou encore 20 questions to women.
Pendant 2 ans, Cyril s’attelle à rendre l’organisation 20 questions to the world viable économiquement. Grâce à des questions posées en plus de son questionnaire central, sur l’eau, la technologie, ou encore la beauté, il crée du contenu vidéo pour des partenaires privés, qui ont ainsi accès à un panel précieux d’informations sur leur domaine d’activité.
Puis l’organisation se développe. Aujourd’hui, 20 questions to the world rassemble une équipe de 8 personnes à Paris, qui travaillent autour de 3 savoirs faire : 1) La production audiovisuelle autour de l’humain, avec du contenu vidéo créé pour des entreprises, 2) Des installations interactives et animations lors d’évènements, notamment une cabine dans laquelle on peut dialoguer et poser des questions au monde entier, et 3) La création de programmes pédagogiques pour enfants autour de la compréhension du monde et de l’autre.
Quand je lui demande s’il avait imaginé, au départ de son tour du monde, que le projet puisse prendre cette ampleur, Cyril répond :
« Je savais que j’entamais une aventure qui dépasserait largement une année de voyage à travers le monde. Et je savais que ce projet avait du potentiel. Dès le début, c’était un peu comme créer une entreprise. Mais à la différence d’un entrepreneur classique, je n’avais aucun business plan à 5 ans et, aucune idée de vers où ce projet allait me mener ! »
Mettons l’accent sur ce qui nous unit, plutôt que sur ce qui nous divise
Une chose ressort clairement des interviews : la similitude des réponses. Aux quatre coins du monde, le questionnaire amène les gens à exprimer les mêmes rêves, les mêmes peurs, et les mêmes besoins, traçant ainsi un fil rouge d’humanité.
- De quoi l’être humain a-t-il besoin ? Prenez l’amour (30%), l’accomplissement personnel et le bonheur, le temps et la paix et vous avez 80% des réponses.
- De quoi l’être humain a-t-il peur ? De l’échec, de la mort, de perdre des proches, que le monde tourne mal, de la violence et de quelques insectes pour encore 80% des répondants.
Nous sommes bien plus similaires que nous le pensons. Voici le message global de 20 questions to the world. Ce message d’unité est selon moi une bonne nouvelle. Savoir que nous avons tous peur du futur de la même manière, du cadre supérieur urbain au paysan, et ce quel que soit le pays, ne peut par exemple que nous aider à faire de l’écologie une cause commune.
Alors arrêtons de mettre l’accent sur ce qui nous divise, intéressons-nous à ce qui nous unit !
Et merci Cyril pour ce projet inspirant.
Crédits photo : Cyril Bruyelle et 20 questions to the world
